Chapitre XVI

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« Tu as un beau visage, lâcha rêveusement Mira, et cette cicatrice sur ta joue te donne du charme. Comment te l'es-tu faite ? »

Arrod émergea de l'eau, entièrement nu. Décidément, ce corps musclé, puissant, parcouru des témoignages de cent batailles, attisait l'attrait de la jeune femme. Il secoua ses cheveux dégoulinants, les rejeta en arrière et s'approcha de cette démarche féline, prédatrice qui révélait, à l'œil expert comme au profane, à quel point il était redoutable. « Une des premières, dit-il. J'étais jeune, inexpérimenté. Trop fougueux.

-Explique-moi, » demanda-t-elle, avide.

Le mercenaire sourit, plissant sa cicatrice et faisant naître de petites fossettes. « C'est très banal tu sais. Rien de très héroïque ou quoi que ce soit. » Elle attendit la suite, comme si elle n'avait rien entendu. Du coup il poursuivit. « Mon frère Bachar et moi avions rejoint les Damnés d'Ostmark. C'était la nuit, une nuit de gros temps, on n'y voyait guère. Nous repoussions un raid aveldhe sur une petite bourgade près d'Arcande. Ils avaient pris pied sur la berge avant qu'on ait remarqué leur présence. Leurs navires sont recouverts d'une substance noire qui les rend presque inaudibles et invisibles pendant la nuit. Et... enfin bon, je me suis trop avancé, mon voisin n'était plus là pour couvrir mon flanc. J'ai vu la lame jaillir du coin de l'œil et je me suis jeté en arrière, assez vite pour ne pas finir borgne, assez lentement pour écoper de cette balafre.

-Banal... que faut-il avoir vu dans sa vie pour considérer une bataille comme banale ? Qu'as-tu donc traversé ?

-Ce n'était pas une véritable bataille, c'était un raid. Lorsque tu as participé à des carnages où des dizaines de milliers d'individus en ont massacré des dizaines de milliers d'autres, lorsque tu as pataugé dans une mer de gadoue de sang, une escarmouche avec cinquante fermiers assoiffés de pillage n'est plus très impressionnante. » Il jeta son manteau par terre, l'étala sur l'herbe qui tapissait le bord du fleuve et s'allongea près d'elle. Sa peau scintillait d'une myriade de gouttelettes arrosées de soleil. « Mais bon, à l'époque, c'est vrai, j'ai été impressionné. Les aveldhes ne sont pas des tendres.

-Mais ils sont tombés sur moins tendre encore, pas vrai ? » Elle appuya sur un pectoral sans s'y enfoncer que de l'épaisseur de la peau. Dur comme l'acier. Si aujourd'hui elle était fascinée et, sinon amoureuse, du moins charmée par le mercenaire, au début, au contraire, il l'avait un peu effrayée. Il y avait ce je ne sais quoi d'animal en lui, c'était un guerrier, il était né pour ça. À cet égard il lui rappelait Corso. Certes, il l'avait sauvée des griffes du seigneur Malvaux, mais qui donc est capable d'une chose pareille ? Qui faut-il être pour tirer l'épée au clair contre un noble et ses hommes assemblés ? Pour ne pas craindre la mort ? Corso aurait pu... pas de doute. Heureusement qu'il n'était pas présent.

Dès lors, lorsque le prince Aymerad l'avait offerte en cadeau à son sauveur, elle s'était présentée craintive et tremblante dans le lit d'Arrod. Elle avait appréhendé ses mains calleuses, sa poigne de fer, ses assauts sauvages, ce pour avoir déjà eu à partager la couche d'hommes de guerre. Or le Cassim s'était montré délicat. Il avait commencé par la dévêtir, par la couvrir de caresses, par la serrer dans ses bras, comme à la recherche d'une tendresse depuis longtemps oubliée. Elle avait fini par se détendre et même, chose rare, par apprécier son contact et ses étreintes.

Tandis qu'elle rêvassait, elle caressait son torse chauffé par le soleil, soulignait les muscles sculptés, sautait d'une entaille à l'autre et sa main s'arrêta sur une marque étoilée, juste sous la clavicule. Du bout des doigts, elle en fit le tour, en parcourut le dessin irrégulier. Il suivit son regard et grimaça. « On ne dirait pas comme ça, dit-il, elle n'est pas bien grande, mais c'est la pire. »

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now