Chapitre VIII

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Les rayons de soleil dansant sur son visage, le chahut des mouettes, la criée dans le port voisin, ainsi qu'une insidieuse petite migraine finirent par le réveiller. Encore nimbé des brumes du sommeil, il ouvrit les yeux et la douleur, sous son crâne, s'intensifia. Il les referma aussitôt. Un peu trop de vin hier à ce qu'il semble. Mais c'était trop tard, pas la peine d'espérer se rendormir.

Aymerad recracha une mèche de cheveux noirs et s'étira. Sur lui, la blonde se tortilla et gémit, mais ne se dérangea pas pour si peu. Elle tourna la tête et replongea allègrement dans les songes. L'autre par contre, la saïdienne, avec ses arabesques tatouées, ne broncha pas. Peut-on imaginer plus doux réveil ? Affalé dans des draps de soie, entre deux beautés nues comme au jour de leur naissance, encore légèrement ivre d'une soirée d'excès, tout ceci aux portes d'un printemps enfin radieux...

Il profita encore un instant de cette douce quiétude, mais déjà il ressentait le besoin de bouger. La ville semblait l'appeler et il voulait en retrouver les saveurs, elle lui avait tant manqué. Aussi, malgré l'agrément du moment et sans égard pour les deux demoiselles, il s'arracha à l'étreinte des draps et des bras, provoquant quelques remous bougonnants dans son sillage. Les filles se pelotonnèrent l'une contre l'autre pour profiter de leur chaleur réciproque.

Il me faut de l'air frais pour me dégriser.

Sans prendre garde à cacher sa propre nudité, Aymerad ouvrit la fenêtre, rafla une assiette de fruits et de fromages, une coupe de vin, et sortit sur le balcon. Il frémit sous la caresse de l'air vif mais en savoura une grande goulée. Ses poumons rassasiés, il but une gorgée de vin pour rincer sa bouche pâteuse. L'aigreur lui arracha une grimace. Il faut combattre le mal par le mal comme dirait Père... ou bien était-ce grand-père ? Peu importe, la seconde lampée lui parut déjà moins mauvaise. Sûr que le fond de la coupe, il l'apprécierait.

Son regard se posa sur les toits d'ardoises pointus, les façades aux colombages ciselés, les rues pavées, les longues jetées environnées de gréements dodelinants. Ce spectacle fit battre son cœur. Havre-Noble bruissait d'une vie fébrile tout autour de lui. L'ensemble de la cité goutait les premiers beaux jours de l'année. Les rues se remplissaient à nouveau de chalands, de voyageurs, de musiciens, de négociants, de dames en beaux atours, de gamins rieurs et de toute la clique de roublards, coupe-bourses et malandrins attirés par tant d'animation. Quelle ville merveilleuse, tout de même ! songea-t-il en croquant un grain de raisin. Il ne manquait rien à Havre-Noble, ni les filles, ni la bonne chère, ses artisans joailliers, couturiers, teinturiers, verriers, ses artistes et amuseurs, ses chefs gastronomes et sommeliers comptaient parmi les meilleurs, l'élite de leurs professions, et donnaient le ton à travers les royaumes ! Tout cela sans compter le beau monde et le divertissement : les spectacles, les bals, les fêtes, les banquets... de quoi vous donner le vertige. Toute une vie de plaisirs ininterrompus, ce dans la plus grande pompe de l'histoire de l'humanité. Et dire que le roi persiste à emmener sa cour à Aldgard pour l'hiver. Quel gâchis. Je changerai tout ça lorsque j'hériterai de la couronne.

Aldgard, l'antique demeure des rois lyvaliens. Érigée tel un défi aux indomptables clans sauvages des terres septentrionales. Une forteresse imprenable, certes, un monstre d'architecture militaire datant de l'empire, un roc entouré de forêts denses. Une demeure parfaite pour un ermite ou un chasseur, mais il y a des forêts ici aussi, et le palais est autrement plus à même d'accueillir la cour du plus puissant royaume du monde afin d'y célébrer la grandeur. Après l'austérité des murs de granit, les délices de Havre-Noble étaient une véritable cure.

Bien aise mais frissonnant, le prince retourna dans la chambre et referma la fenêtre. Le ventre plein, il s'assit dans un fauteuil face au lit, sirota le fond de sa coupe et observa les reliefs des corps allongés sous les draps, le doux ressac de la soie provoqué par les respirations. Il devinait les courbes pleines entrelacées dans les plis, attisant son désir renaissant. « Faites-moi plaisir mesdemoiselles, dit-il suffisamment fort pour être entendu, soyez gentilles et câlines l'une avec l'autre. »

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now