Chapitre XXXII

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Difficile de mesurer l'écoulement du temps avec cette obscurité, ce mutisme, cet interminable trajet, uniquement rythmé par les cahots du carrosse. Impossible de prendre sa plus belle voiture, un véhicule confortable, spacieux, mais lourd. Pas pour ce voyage. Ils filaient, poussaient les chevaux à bout. Lorsqu'ils le pouvaient, ils voyageaient de jour comme de nuit. Voilà déjà trois fois qu'ils changeaient de montures et l'escorte mortelle avait quelque peu fondu, par manque de chevaux frais. Et puis une chute, aussi, avait coûté la vie à un servant éreinté.

Restaient huit nosferatus, répartis dans les deux carrosses, et une dizaine de servants pour les conduire et escorter. C'est suffisant, songea Amadeus. Tant que nous gardons ce rythme. De toute manière, ils arriveraient bientôt à Mordengard. Le seigneur Morfroy avait une demeure là-bas. Ses gens auraient l'occasion de se reposer un peu, ils pourraient récupérer des chevaux frais en suffisance et même grossir l'escorte, en vue d'un possible affrontement.

Nous avons probablement déjà dépassé Salazar et ses nouveaux alliés. Ils auraient ensuite tout loisir de leur tendre une embuscade. Avant Lossoth, idéalement. Sinon, tant pis, ils auraient à faire avec la garde symbolique attachée aux vestiges de la cité. Une poignée de templiers chargés de garder un œil sur les vieilles pierres et sur quelques pèlerins. Heureusement que Noirhall est trop loin pour fournir des renforts à Lyovar avant que nous soyons sur lui. Et Amadeus n'avait pas connaissance d'un bastion Tyreön dans les parages. L'air de rien, les antiques territoires étaient toujours relativement respectés. Les traditions ont la vie dure, même chez les immortels.

L'infimité du jour filtré par les épais rideaux de la voiture permettait néanmoins à sa vue exercée aux ténèbres de distinguer les faces pâles des autres occupants. Deux de ses gens, issus de Sirius, son premier infant, perdu lors de la guerre du Fléau. Et en face de lui, Parsifal, issu de Salazar. Ce dernier, le regard éteint, ne pipait mot. Les premiers jours, il s'était plaint. La terrible blessure subie dans son combat contre Corso n'avait pas encore eu le temps de guérir et le faisait souffrir, avec ces secousses incessantes. Mais maintenant, plus un mot. Il ne savait même pas à quoi s'attendre. La spéculation à laquelle on le livrait était une forme de torture, sans doute. Peut-être craignait-il de recevoir le châtiment qu'Amadeus ne pouvait encore infliger à son aînarque. Et le seigneur l'avait dès lors laissé mariner. Mais après plusieurs jours entiers de silence... Il est mûr.

« Comment te sens-tu ? » s'enquit le seigneur Morfroy.

Le visage fin et lisse de Parsifal se crispa, ses yeux s'arrondirent de surprise. Il doit se demander s'il n'a pas rêvé. « Ta blessure à la hanche ? demanda-t-il encore, afin de l'empêcher de douter de ses sens.

-Je... Je devrais me nourrir, pour bien faire, répondit l'infant de Salazar d'une voix rauque, déjà trop habituée au mutisme. Mais vous allez m'affamer ? Que projetez-vous ? Pourquoi cette course effrénée ? »

Amadeus sourit et l'ignora. « Et ton sentiment vis-à-vis de ton aînarque ? »

L'autre le lorgna d'un œil méfiant. « Eh bien quoi, il est parti. Je m'y attendais, à vrai dire. Il devenait bien trop nerveux... Vous l'avez retrouvé ?

-Pas encore. Mais je crois savoir où il va. »

Parsifal secoua la tête. « Si vous comptez sur moi, je ne puis rien pour vous. Il ne m'a pas fait part de ses intentions.

-Et il ne t'a pas emmené avec lui.

-Il devait être pressé de partir.

-En effet. Ça s'appelle prendre ses jambes à son cou. » Amadeus fit un geste de la main dans sa direction. « Tu ne lui en veux pas ? Même un peu ?

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now