Chapitre XII

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Ils arrivaient de l'Est et face à eux le crépuscule baignait la cité de rougeoiements flamboyants.

Nous entrons en Lyval, songea Artemus.

Saint-Marrigan était une petite ville prospère, sise à la croisée de la route qui reliait Havre-Noble à Belcastel et de celle qui reliait Clairbourg à la frontière chorysienne. Le bourg était juché sur une colline trapue à l'Ouest du fameux carrefour qui avait fait sa richesse et dominait une plaine de bocages. Au gré du temps, il avait débordé de son enceinte de pierre et de petites maisons bien tenues tapissaient à présent le flanc de la colline et le bord des routes. Dans les lueurs incendiaires du jour déclinant, les bannières dorées frappées du château hersé rouge de la maison Orcroix chatoyaient.

« Le château des bannières a l'air plus gros que celui de la ville, remarqua Lyren. Y en aurait-il un autre plus loin sur la route ?

-Non, tu as raison, répondit frère Gabriel, mais un étendard se doit d'en imposer. L'ironie ne s'arrête toutefois pas là, car voilà longtemps que les Orcroix n'ont plus de château ailleurs que sur leur blason. Comme cela arrive parfois, il a été confisqué par leur suzerain Belcastel à l'occasion d'une guerre au cours de laquelle ils avaient choisi le mauvais parti. Par amour si ma mémoire ne m'abuse...

-Voilà une histoire de fesses qui leur aura coûté cher, observa sœur Estrella. Sans doute encore un homme qui n'aura pas su garder son haut de chausses. »

Gabriel eut une moue amusée et jeta un regard en biais à la Rose de Fer. « Tout surprenant que cela puisse vous paraître, ma sœur, je crois bien que c'est une certaine dame Florine qui perdit le fort. Mais l'histoire ne dit pas si elle portait haut de chausses. »

Et de fait, en approchant de la ville, ils purent constater que c'était bien un Lys Belcastel qui flottait au faîte du donjon.

« Des maisons, des tavernes, de la vie, enfin ! s'exclama Artemus. Je sens d'ici les fumets de viandes rôties, les bouquets des tonneaux de vin mis en perce, les feux de bois dans les cheminées... l'odeur de la vie.

Sœur Estrella pouffa. « Et les effluves d'ordures du caniveau qui couvrent tout cela, tu les sens ?

-Oui, ils flattent mes narines eux aussi... un délice ! »

Et le vieux templier huma, huma, s'en emplit les poumons jusqu'à satiété, et jusqu'à provoquer les rires de ses compagnons. Il constatait avec plaisir que Lyren était détendu, et même heureux, malgré l'éloignement de son foyer. Il avait craint ce retour vers la civilisation, vers les villes, vers des hommes sans manteaux blancs. Mais le jeune homme d'ordinaire si méfiant abordait Saint-Marrigan sans appréhension. Et même, à la surprise d'Artemus, il avait d'emblée accepté Estrella comme l'une des leurs, lui avait accordé sa confiance, s'entretenait longuement avec elle tandis qu'ils chevauchaient.

Depuis leur départ du monastère, depuis qu'il avait appris qu'une menace se tapissait parmi eux, quelque part, peut-être partout, Lyren était inquiet et dormait mal. La journée il somnolait en selle et la nuit il ne parvenait pas à fermer l'œil, ou alors son sommeil était troublé d'horribles cauchemars. Estrella l'avait pris en pitié, avait su trouver les mots capables de le rassurer et, depuis quelques nuits, le jeune homme pouvait à nouveau dormir.

C'est ainsi qu'elle avait réussi à gagner son affection naturellement, sans artifice, ainsi qu'elle savait si bien le faire. Comme elle avait su le faire avec lui, autrefois. C'est ainsi qu'il doit en être. Et de vieux souvenirs de son premier voyage en Terre Sainte lui revinrent.

« Bon, un lit et un ragoût sont bien les moindres exigences que peut se permettre d'avoir un barbon tel que moi !

-Même si c'est un templier ? demanda Estrella.

L'empire de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant