Chapitre XXXVI

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« Ne t'éloigne pas trop, Rosie ! s'écria Mirabella. Je préfère rester en vue du camp. »

La gamine chantonnait et gambadait à l'orée des bois, où d'épais tapis de genêts, de bleuets et de marguerites s'épanouissaient. De temps à autres, elle se penchait, cueillait, ajoutait des fleurs à son gros bouquet. Plus rarement, elle trouvait une brindille, qu'elle glissait sous son bras pour accroître son pauvre fagot. La mère sourit tendrement.

Ils avaient beau avoir connu de terribles épreuves, l'incendie et la mort au Rouge Royaume, le voyage de nuit et la fuite, la proximité de cette horrible Marie, sa fille ne lui avait jamais paru plus épanouie, comme si, enfin, elle pouvait vivre son enfance. Leur entourage actuel était certes mieux intentionné que lorsque la jeune femme servait à l'auberge. Arrod se montrait très protecteur, plus encore depuis qu'ils voyageaient avec Cyril et ses troubadours. Même Ed appréciait la petite fille et jouait avec elle de temps en temps. Le vieux mercenaire avait l'esprit quelque peu ébranlé depuis qu'il avait assisté au massacre de ses amis, et seule Rosie était capable de lui arracher des sourires.

Il faisait encore grand jour, mais les baladins avaient désiré s'attarder dans un village proche pour donner une représentation. Les templiers leur avaient donné rendez-vous sur cette butte herbeuse un peu à l'écart de la route, hors de vue de la bourgade, où les chevaux pourraient brouter à leur guise. Ils avaient établi leur campement et la jeune femme et sa fille s'étaient proposé de ramasser du bois pour le soir.

On approchait déjà de la fin de Florémon et avec le mois de Clamarté arriverait bientôt l'été. Une brise agréable soufflait, faisait danser les ramures et ondoyer les herbes sauvages. De blancs piliers de lumière chaude crevaient les frondaisons. Et les fleurs des champs exhalaient d'entêtants parfums.

Un bon paquet de bois sec calé sous le bras, Mira se pencha pour ramasser une branche morte. Elle se redressa et se retourna vers les halliers, à la recherche de la petite tête rousse, mais ne la vit pas. La jeune femme s'approcha des tapis de fleurs, distingua des traces, des tiges pliées, écrasées, mais Rosie n'était plus là. Je l'ai vue, juste ici, il y a à peine un instant...

La peur referma son étreinte glacée sur son cœur. « Rosie ! Ma chérie ! » appela-t-elle.

Mirabella respira profondément pour calmer l'anxiété qui menaçait de la submerger. C'était un coin tranquille, ils n'avaient vu personne dans les parages. Sa fille ne devait pas être loin. Elle laissa tomber le fagot à ses pieds et fit un tour sur elle-même pour regarder plus loin autour. Le chant de la brise estivale et le ballet sempiternel des arbres lui semblèrent sinistres tout à coup.

Elle était sur le point de crier, de hurler, lorsqu'elle perçut un rire cristallin en provenance de la route. Elle suivit la voix, en courant, presque en trébuchant, puis elle aperçut de hautes silhouettes. Rosie était bien là, son bouquet à la main, entourée de cavaliers en armes. Mira se laissa tomber près d'elle et la prit dans ses bras, soulagée.

« C'est un bien beau bouquet que votre petite a fait là, madame, lui dit l'un des hommes d'un air exagérément admiratif.

-Oui, celui-là est pour Ed ! répondit fièrement la gamine. Ed est trop triste et a trop peur. J'espère que ça lui fera plaisir. »

Sa mère leva enfin le visage vers les cavaliers. Ils étaient au nombre de cinq. Leurs armoiries, une croix d'or sur champ de neige immaculée, attestaient de leur arrivée en Chorys, le pays de l'archecclésiarque. Ces soldats faisaient partie de la Légion Sacrée. Leur officier, lui sourit. C'était un homme avenant, le cheveu poivre et sel, rasé de frais. Elle ne discerna pas d'intention hostile, juste de la curiosité et un peu d'amusement.

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now