Chapitre XXXIII

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Les bourrasques éprouvaient la netteté de sa coiffure et menaçaient de lui arracher son diadème. Mais les tresses montées en chignon tenaient bon et le bijou était bien arrimé à sa chevelure. Et, quoi qu'il en soit, Amelyn n'en avait cure. Le vent pouvait bien lui voler quelques mèches de cheveux, il pouvait tout lui prendre. Si seulement, par la même occasion, il pouvait m'arracher cette promesse de mariage...

Toutefois les éléments n'y pouvaient rien. Nul n'y peut plus rien faire, pas même le ou les dieux. Une promesse était une promesse. C'était encore plus vrai pour les Helmïns que pour n'importe qui d'autre. Et c'est aussi ce qui fait la beauté de ces gens. Son destin était scellé et là-haut, sur le rempart du monastère, les rafales continuaient de souffler, en vain.

Les nuages roulaient à vive allure dans le ciel et le jeu des puits de lumière, entre eux, conférait au paysage un aspect fluent. Les bannières blanches claquaient aux sommets des tours. Loin en dessous, aux pieds de la falaise, Archenval étendait sa mosaïque de toitures. De l'autre côté de la vallée, sur le versant opposé, des pâtures et des bouquets d'arbres rabougris parsemaient les escarpements rocheux de couleurs estivales. Mais lady Loredall était aveugle à tout ce qui l'entourait.

Seuls les donjons de Welvenfal lui revenaient à l'esprit, la galerie aux vitraux, les jardins, l'arbre à serments... et un prince humble et triste. Et sa peine était d'autant plus dure à supporter que, à quelques exceptions près, son entourage se réjouissait, riait, exultait. Hormis le roi Tybelt, qu'une noire colère empêchait de dérider, on ne parlait plus que mariage et fête. La reine envisageait déjà les étoffes, les parures et ornements, les vins, les plats et desserts. Aymerad évoquait leur union, leurs danses, éventuellement un voyage... mais son regard ne cessait de la dévêtir et Amelyn devinait aisément où était son véritable intérêt, et quels propos il échangeait avec sieur Abel lorsqu'ils souriaient, l'œil brillant.

Toutefois, de tous ces seigneurs ravis, Malvin était le pire. Comme il se félicitait de devenir le frère de la future reine de Lyval ! En fin de compte, il n'avait pas même eu besoin de recourir à d'âpres négociations. Il échafaudait déjà ses plans pour déménager à Havre-Noble et ne plus venir séjourner à Silvarsïn que pour traiter les affaires d'importance et récupérer le fruit de ses impôts. Il passait son temps à projeter des soirées, des banquets, des bals. C'est plein d'allégresse qu'il retrouvait sa place tant regrettée au sein de la cour. En outre, comme si cela ne suffisait pas, il ne considérait aucunement la peine de sa sœur et s'agaçait de sa mélancolie, de son manque d'aplomb, desquels il prenait ombrage. « C'est un affront à ton fiancé et à la cour entière ! lui avait-il dit. Aie au moins la grâce de sourire, quand un si bel avenir t'attend.

-Tu as voulu que je m'éprenne du prince Léoric et je m'en suis éprise, avait-elle rétorqué. Maintenant, tu veux que je l'oublie au profit du prince Aymerad... mais il ne s'agit pas d'un masque que l'on échange à sa guise.

-Un masque, exactement ! Si tu es trop ingrate pour éprouver de la joie, tâche au moins de faire semblant. »

Elle serra entre ses doigts la petite pierre bleue du pendentif qu'elle portait au cou. La larme de Léoric. Le joyau lui rappelait sa situation avec trop d'acuité. Mais la chaîne était fine, il serait aisé de tirer d'un coup sec pour la rompre. Et ensuite, la jeter au loin...

« Vous semblez songeuse. »

Amelyn se retourna, surprise. Non loin, sur le chemin de ronde, la princesse Cristal l'observait avec compassion. De la compassion... ou de la pitié. La jeune femme s'approcha et s'appuya aux merlons. « Vous l'aimiez bien, n'est-ce pas ? L'autre prince. »

Lady Loredall baissa les yeux, honteuse de son propre chagrin. « Il était bon, aimable, honnête. Il fut le seul à ne pas me juger sur mon nom, à mon arrivée à Welvenfal. Et il m'aimait.

L'empire de la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant