Chapitre IX

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Les cris et le fer sonnaillant des exercices emplissaient la cour d'échos en contrebas. Le soleil miroitait sur les heaumes et les lames en mouvement. Il caressait les crêtes rocheuses, qu'il teintait d'ocres, et le vert nouveau des cultures soigneusement entretenues par les frères, accrochées à la falaise. De l'autre côté du monastère, il rehaussait également le rouge des tuiles en céramique des minuscules maisons d'Archenval, blotties au fond de leur vallée. Le printemps était enfin là, clément, radieux, mais Lyren ne pouvait s'empêcher d'avoir froid.

Au sommet du donjon, dans le bureau du père Ambrose, l'hiver semblait s'être à nouveau abattu. Un silence glacé suivait les propos du grand maître. Pas un silence incrédule, pas le silence du doute, mais celui de la peur, de la terreur muette. Le maître venait de leur annoncer le véritable but de leur voyage, de leur révéler cette histoire à propos des sœurs hérétiques, à propos du Fléau. Aussi invraisemblable que cela pût paraître, Lyren savait d'instinct qu'il s'agissait de la stricte vérité, même si son esprit ne pouvait encore l'assimiler.

Le cœur, l'esprit, le feu ! Les mots anciens, répétés par des générations de templiers telle une devise jaillie de l'éternité, résonnèrent dans sa tête. Le courage, la raison et la foi, les piliers indispensables à l'épanouissement, au perfectionnement de tout membre de l'Ordre. Ces mots, qui d'ordinaire raffermissaient la volonté du jeune homme, restaient sans effet ce jour-là.

Le temps paraissait suspendu dans le silence prolongé. Les épées et bannières blanches de la Confrérie, le bureau de chêne massif, les volumineux grimoires, les lourds chandeliers et les templiers eux-mêmes, tout conservait une parfaite immobilité. Pas même un feu dans l'âtre noirci pour danser sa gigue et animer les murs de silhouettes démentes. Seuls quelques grains de poussière tournaient lentement, au ralenti, dans les rais de lumière printanière.

« Je sais à quel péril je vous expose, mes frères, reprit le père Ambrose auquel l'éclat du matin, déversé par la fenêtre, donnait un teint blafard. Ou plutôt non, je ne peux que le deviner. C'est un déchirement pour moi, je vous assure. Rien ne peut préparer un homme à prendre ce genre de décision. Je ne vous forcerai pas la main, vous pouvez refuser de partir, mais de grâce, le secret sur tout ceci doit être gardé pour l'instant. »

Figé devant la croisée, Lyren cherchait un repère, un élément rassurant, quelque chose à quoi se raccrocher pour ne pas céder à la détresse. Fébriles, ses yeux parcouraient le paysage familier sans trouver le havre escompté... Quelque part, là dehors, se tapissait le mal, à l'affût. Peut-être en Lyval, en Helmdal, en Orphel, peut-être à Eterna, peut-être même à Archenval, juste sous ses yeux. Au-delà des fins croisillons de verre sévissaient des créatures ressemblant à des hommes, mais sans âme, sans amour ni compassion, des créatures immortelles, dangereuses, celles-là même qui jadis avaient mis à mort Tristan et causé tant de souffrance. Peut-être certaines, traversant les âges, avaient-elles connu cette époque et prêté la main à la mort du martyr...

Sa raison se débattait, luttait contre cette idée. Comment accepter une telle chose, la laisser s'insinuer dans ses pensées sans risquer la folie ? Lyren était un adulte qui découvre que les monstres de son enfance existent bel et bien, comme quelqu'un qui s'éveille soudain d'un cauchemar, mais pour constater qu'il ne rêvait pas, que tout est réel.

Ils ont tué le fils de Dieu, ils ont amorcé le déclin de l'empire... que nous réservent-ils aujourd'hui ?

Une main amicale se posa sur son épaule, la main d'Artemus. Une partie de ses craintes s'envolèrent, une partie seulement.

« Il n'est pas question de refuser, dit frère Gabriel, le troisième templier convoqué, la Confrérie d'Argent a été fondée pour ça, n'est-ce pas ?

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now