Chapitre XXVI

315 53 222
                                    

Enfin !

Alessandro avait fini par croire qu'il n'y arriverait jamais. Mais cette fois il y était parvenu, il l'avait blessé, ce surprenant adversaire. Une véritable anguille. Vif, souple, jamais là où on l'attend... Il ne s'était pas douté de la qualité de l'autre champion en le voyant, avec son acier nu, son bandeau sur l'œil, et puis il n'était pas bâti comme un aurochs, ce Bluteynir.

Le pire, c'était qu'Alessandro se savait supérieur, tant par la force que par la vitesse. Il était un nosferatu après tout. Nul mortel ne lui avait jamais donné tant de fil à retordre. Et cependant, la précision et l'adresse de ser Tristifer lui avaient déjà valu trois blessures. La première, une estafilade derrière le genou, ne le gênait guère. Elle brûlait, mais le vampire était capable de surmonter la douleur. La seconde, par contre, lui avait éclaté le nez. Du sang empoissait son visage, menaçait de lui couler dans un œil et les attaches serrées du masque comprimaient ses chairs boursouflées. Enfin, la troisième le laissait légèrement boiteux. Le fil de la lame avait ouvert une plaie profonde et, chaque fois qu'il prenait appui sur la jambe gauche, la douleur irradiait de la cheville à la hanche.

Mais maintenant, c'est terminé. Il est blessé. Le combat est gagné.

Le faux magister s'était accordé un répit, afin de mesurer l'étendue des dégâts, de percevoir à quel point cette nouvelle blessure pourrait le handicaper. Toutefois ses réflexions furent interrompues par un nouvel assaut du champion helmïn. Il paraissait essoufflé pourtant... Son adversaire jaillit dans sa direction, reluisant d'acier mais à présent tête nue. Alessandro para une fois, deux fois, trois fois, son écu gémit, puis il rompit le contact et s'éloigna. Impossible de ne pas admirer la combativité, l'opiniâtreté de ce guerrier.

Heureusement que j'ai pu choisir l'épée aux saphirs.

Il avait accordé le premier choix à l'autre champion, bien entendu. Au pire, si ce dernier avait choisi l'épée enduite de poison, lui-même y était insensible, et de plus il ne pensait pas en avoir besoin, certain qu'il était d'avoir un large ascendant sur le mortel. Il aurait feint un duel honorable et enfin, éventuellement, il aurait perdu, espérant pouvoir convaincre Aymerad de provoquer un conflit par la suite, juste pour les beaux yeux, ou les jolies fesses, de lady Loredall. Mais il fallait aussi écarter son père d'abord... ce plan-là était plus complexe, en outre il nécessitait sa défaite. Le poison, par contre, lui permettait d'éviter ce genre d'embarras.

Mais au départ il était destiné à un prince.

L'empoisonnement d'un héritier aurait eu tôt fait de déclencher une guerre. Alessandro n'avait eu aucune difficulté à manipuler le prince Aymerad pour en arriver à cet affrontement, ça avait presque été trop facile. Certain qu'Aymerad aurait choisi cette épée et que, par contre, Léoric aurait évité le bleu Melkarande, le prince aurait pu être suspecté d'avoir usé du venin pour s'assurer d'avoir sa belle. Les soupçons se seraient naturellement portés sur lui, ou sur l'un des nombreux opposants à l'union entre les deux royaumes. En revanche il n'avait pas prévu ce recours aux champions. Encore heureux qu'il faisait nuit à présent et qu'il pouvait lui-même prendre les choses en main.

Le Bluteynir lui tournait autour, tel un prédateur épiant sa proie. Le nosferatu ne le quittait pas des yeux. Il l'avait déjà payé cher, mais il avait appris la leçon. Je ne commettrai plus l'erreur de sous-estimer un mortel. L'épée ennemie fusa, d'abord d'estoc, ensuite de taille. À l'abri derrière son écu, Alessandro para les deux attaques avant de tenter lui-même une pointe vers la tête nue. Mal lui en prit. Tristifer enroba si bien sa lame qu'il faillit la lâcher. Suivit un coup au poignet qui, s'il ne trancha pas, lui infligea une douleur cuisante et manqua à nouveau de lui faire perdre son arme.

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now