Mais je ne commettrai pas les mêmes erreurs.

Braggo entra avec lui dans le hall illuminé par l'éclat agité des coupes à feu. Un servant se précipita pour refermer la porte derrière eux dans un claquement retentissant. Le son résonna longtemps dans les couloirs déserts. Le brouhaha était mort avec le départ de leurs invités.

Amadeus tourna son regard de glace vers son féal. « Je n'ai pas vu Salazar. Sais-tu où il se trouve ?

-Nous devons discuter. Salazar est parti. »

Le seigneur Morfroy se figea. Le traître a laissé tomber son masque... La perte de Corso le vrilla une nouvelle fois. « Bon, nous sommes chez nous et la plupart des oreilles se sont égaillées, mais il en reste cependant quelques-unes dans ces vieux murs. Allons dans mon bureau. » Il héla le servant, qui plantait toujours à côté de l'entrée. « Une bouteille de Château Mérault 214 grand cru, dans mon bureau. »

Le valet s'inclina et disparut. Amadeus soupira. Il aurait préféré du sang, mais le faire couler dans une coupe était un gâchis juste bon pour les rituels cérémonieux et, pour l'heure, il n'avait pas de temps à perdre avec un esclave nourricier. Le vin, un excellent millésime, ferait l'affaire.

L'esprit encombré de questions, Amadeus monta dans son bureau avec son féal. Il tisonna un coup le foyer. Cette nuit était plus fraîche, presque surprenante après la canicule. Puis il s'installa dans l'un des fauteuils face à l'âtre et invita Braggo à faire de même. Il n'eut pas à patienter longtemps avant de voir arriver sa précieuse bouteille.

Impatient, il congédia le servant et se servit lui-même un verre. Amadeus prit néanmoins le temps de humer son vin avant de le porter à sa bouche. « Bien, nous voilà tranquilles. Tu dis que Salazar est parti ?

-C'est exact. Vous ne l'avez pas vu aujourd'hui, car il a quitté le domaine. Vous m'aviez demandé de le surveiller, c'est ce que j'ai fait.

-Il a quitté le domaine ? Il n'a rien laissé... ni rien pris ? »

L'Alycan secoua la tête. « Il s'est enfui. Vous aviez raison, c'est un traître, et un lâche. Et s'il avait tenté de prendre quoi que ce soit, le vol lui aurait valu la mort. Je n'aurais pas hésité. Mais comme vous m'aviez dit de le laisser en vie et que rien ne permettait de l'incriminer...

-Bien entendu, tu as bien fait. »

De toute manière, les comptes, les lettres, les chartes... tout était au nom des Morfroy. Mais Salazar peut manquer de courage, manquer de chance, manquer de jugeote à la rigueur... je suis cependant bien certain que jamais il ne manquera d'or. Ce scélérat avait un don indéniable pour ce qui était de faire fructifier la richesse. C'était ce talent qui l'avait mis dans le pétrin lorsqu'il était encore mortel et qui avait attiré l'attention d'Amadeus. Et, en dépit de sa trahison, ce dernier continuait de s'en féliciter, car jamais sa fortune n'avait été plus grande. Mais ce serait dommage de voir ce don garnir d'autres coffres que les miens.

Par contre, le seigneur nosferatu se demandait ce qui avait pu pousser son infant à se détourner de lui. Il était pourtant bien placé, au sein de l'une des plus puissantes familles du Chapitre. Depuis combien de temps préparait-il sa trahison ? Était-ce seulement une trahison, ou bien voulait-il uniquement se débarrasser de Corso ? Ces deux-là ne s'appréciaient pas. Salazar lui enviait l'affection d'Amadeus. Un peu comme moi avec Agovar... je ne m'en suis tracassé que trop tard. Et son lieutenant avait fini par considérer le jeune Alycan comme un rival. Salazar avait fui avec une famille ennemie cette nuit, cela ne faisait aucun doute. Mais, finalement, peut-être ne cherchait-il qu'un nouveau protecteur après avoir fomenté l'éviction de Corso et constaté que la situation lui échappait.

L'empire de la nuitWhere stories live. Discover now