Mais elle était beaucoup trop excitée pour penser au fait qu'elle se trouvait en territoire étranger, et qu'elle devait garder une certaine méfiance.

        Pas moins de cinq minutes plus tard, une grande cage apparut dans l'obscurité. Elle était excentrée par rapport au village et plus aucune torche n'éclairait les alentours. Sooney en saisit une accrochée à la dernière maisonnette, et s'avança en faisant signe à la petite troupe d'attendre à l'endroit où ils se trouvaient. Alex n'avait pas suivi.

        Le cœur battant la chamade, Aïkida suivit la silhouette du Khyazgaar des yeux, et elle le vit s'arrêter devant la cage dont on distinguait à peine les barreaux.

— Emelï, c'est moi.

La voix de l'homme était douce et rassurante.

        Des bruits de ferrailles retentirent dans la nuit, et une silhouette pâle apparut à la lumière de la torche.

— Emelï !

Ce cri sorti du cœur, Aïkida n'avait pu le retenir.

        La Fille Gelée s'élança vers la grande cage de métal, les larmes roulant sur ses joues alors qu'elle ne cessait de répéter le nom de sa petite sœur. Tarek, lui, s'était crispé. Il se remémora l'aveux de la jeune fille concernant ses cauchemars.

— Kida ?

La petite voix de la jeune Ar-Feiniel se fit entendre dans la nuit alors que les sourcils de Sooney se froncèrent. Il se tourna vers la Fille Gelée qui arrivait en courant et haussa le ton :

— Je ne vous conseille pas de la toucher.

Mais elle ne l'entendait même plus. Arrivée devant la cage, elle s'accrocha fermement aux barreaux, les joues ruisselantes de larmes alors qu'elle ne répétait que son nom :

— Emelï, Emelï c'est moi !

La petite fille releva la tête et ses yeux se mirent à briller lorsqu'elle reconnut bel et bien le visage de sa grande sœur.

— Kida !

Elle passa une de ses petites mains à travers les barreaux et Aïkida la saisit aussitôt en la serrant aussi fort qu'elle le pouvait. Pleurant à chaudes larmes, elle était collée contre la cage, tentant d'enlacer sa petite sœur.

        Mais Sooney s'était crispé et attrapa une épaule de la Fille Gelée :

— Je vais vous demander de reculer.

Mais derrière lui, Leeroy s'approcha à son tour, tendu. Cependant, il murmura à l'oreille de l'homme :

— Laissez leurs cinq minutes. Juste cinq minutes.

Mais Sooney fit non de la tête et insista :

— Le métal résiste à la magie noire, mais pas un corps humain. C'est trop dangereux.

Leeroy tenta une nouvelle fois de laisser du temps aux sœurs, mais le regard de l'homme et le souvenir de l'histoire d'Alex le firent capituler.

        Aïkida pleurait, et tentait de rassurer Emelï d'une voix chevrautante :

— C'est bientôt fini, je te le promets. Je suis venue te chercher, je ne te quitterai plus. C'est bientôt fini je te le jure. Je te le jure.

Les sanglots étouffèrent ses dernières paroles alors qu'elle tenait le visage fin de sa petite sœur entre ses mains. Ses cheveux blonds semblaient gras et sales alors que sa peau noircie par la saleté ne laissait plus apparaître les taches de rousseur qu'Aïkida avait connues. Ses petites mains serrées autour des poignets tremblants de sa grande sœurs, Emelï pleurait elle aussi, et s'accrochait de toute ses forces à la seule personne qui lui restait du passé.

        La Fille Gelée se débattait alors que Sooney lui avait saisi les épaules et la forçait à reculer et à s'éloigner de la cage.

— Aïkida s'il te plait, murmurait Leeroy qui était désolé.

— Pourquoi il faut les séparer ? demanda Conrad qui s'était approché timidement.

Le jeune blond tourna un regard navré vers le petit garçon en répondant :

— Parce que leur amour pourrait les détruire sans qu'elles ne s'en rendent compte. Il faut encore attendre.

En larme, Aïkida se laissa traîner en arrière, observant sa sœur avec joie, chagrin et désolation mêlés. Mais avant que Sooney ne les sépare complètement, Emelï ajouta d'une petite voix :

— Je suis contente que tu sois revenue le jour de ton anniversaire. Bon anniversaire Kida.

Cette dernière écarquilla les yeux en entendant cela. Mon anniversaire ? Tout comme elle, Leeroy, Tarek et Conrad avait haussé un sourcil.

        Les paroles d'Emelï eurent pour effet de ramener Aïkida dans le passé.

        Il y a plusieurs mois de cela, Suron lui offrait son cadeau d'anniversaire bien à l'avance, à savoir ses armes qui, elle l'avait appris plus tard, étaient magique. Ce même jour, elle avait fait la rencontre d'Athkor. Et depuis cet instant, sa vie avait basculé dans une spirale infernale qui tournait à toute vitesse. Elle avait consolidé ses bases de combat, elle avait rencontré d'autres dragons et dragonniers, elle avait été séquestrée chez le Masque Noir, sa famille avait été enlevée, elle avait été chez les elfes, puis le Grand Combat est venu, durant lequel elle avait tué un dragon et défait un démon. Elle avait perdu sa mère, sa sœur avait disparue, elle avait été empoisonnée, et enfin, elle était partie en périple pour retrouver Emelï. Et cette nuit-là, lorsqu'elle la retrouvait enfin, sa sœur lui rappelait à quel point elle était jeune et à quel point elle avait déjà beaucoup vécu. Cela faisait dix-huit ans qu'elle foulait les terres de différents royaumes, et pourtant, elle avait l'impression d'avoir vécu cent années de plus.

        Les larmes continuèrent à couler sur ses joues déjà bien humides alors qu'elle fixait sa petite sœur. Cette dernière s'était souvenue de la date de son anniversaire, même au milieu d'inconnus, même dans une cage. Elle s'était aidée de la lune pour se situer dans le temps, et s'était souvenue.

      Aïkida avait dix-huit ans, et elle retrouvait sa sœur pour cette occasion. Le plus beau cadeau que le ciel aurait pu m'offrir.

La Fille Gelée et la Face CachéeWhere stories live. Discover now