5.1 : Libération d'Odhrán

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Le lourd destrier frappa du sabot sur la terre, énervé par l'inactivité.
Son cavalier tapota son encolure pour essayer de le calmer et reprit l'attitude immobile qui était la sienne depuis plus d'une heure.
À côté de lui, un autre cheval s'impatientait. Ou plutôt l'homme assis sur son dos.
— Du calme, Niall, murmura Brogan de sa voix rocailleuse. Ils vont arriver...
Le roi soupira.
— Ça fait longtemps qu'il est parti.
— C'est le meilleur.
— Ça fait quand même longtemps.
Brogan esquissa un demi-sourire et se tourna vers son ami et souverain.
— Il n'y a pas un bruit, c'est bon signe. S'ils s'étaient fait prendre, ce serait le branle-bas de combat là-bas.
Il regarda à nouveau vers l'enceinte de pierre blanche, visible à des lieues, même en pleine nuit.
— Ils vont arriver...
Niall se tut.
Il avait une confiance aveugle en Brogan. Seule l'angoisse de perdre à nouveau son frère le rendait sceptique quant à la réussite de cette mission. Tout paraissait tellement trop simple. S'introduire dans la forteresse, tuer quelques gardes, libérer Odhrán, et ressortir tranquillement.
Brogan et ses espions l'avaient prévenu que cet endroit n'était pas très bien gardé.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, les occupants s'appuyaient sur la réputation terrible de Cartorin pour tenir les gens éloignés. Et à priori, cela avait fonctionné jusque là. Sauf qu'ils s'étaient attaqué à un membre de la garde. Ils n'auraient pas pu trouver plus dangereux adversaires, ni plus obstinés.
Ses hommes disséminés aux quatre coins du pays, Brogan avait dû recruter directement sur place. Ce qui n'avait pas été, au final, très difficile, puisqu'il y avait déjà une cellule dormante qui n'attendait qu'un ordre de sa part — ou de celle de Niall — pour agir.
Ils avaient patiemment attendu le crépuscule, puis la nuit noire pour mettre leur opération en branle.
Derrière lui, il entendit la toux d'un homme, la respiration saccadée d'un autre, et tout plein d'autres bruits résultant d'une minuscule armée de quinze hommes.
Il se tourna, sourcils froncés. Les huit hommes de la garde personnelle qu'il avait entraînés n'auraient jamais émis le moindre son. Mais ceux-là n'étaient pas encore assez aguerris pour arriver à un tel résultat.
Ce qui ne l'empêcha pas de jeter un regard noir à l'homme le plus proche, qui fit suivre la consigne de ne pas faire un seul bruit.
En très peu de temps, le calme revint, et Brogan se concentra sur la façade.
Malgré ce qu'il avait dit à Niall, il était inquiet. L'homme qu'il avait envoyé était le meilleur, certes, mais le temps lui paraissait terriblement long.
Il s'attendait à entendre des cris dans l'instant. Pourtant, rien ne venait.
Que fichaient-ils donc ?! se demanda-t-il avec humeur.
Niall lui jeta un coup d'œil et haussa un sourcil ironique. Brogan se rendit compte qu'il s'était redressé sur sa selle, jambes tendues dans les étriers, comme s'il s'apprêtait à se lancer au triple galop.
Il poussa un soupir, et se rassit calmement.
L'attente usa leurs nerfs jusqu'au point de rupture. Le capitaine de la garde allait envoyer un nouvel escadron lorsqu'il perçut un infime mouvement.
Il fit signe à ses hommes qui se tinrent immédiatement sur leurs gardes. Il descendit de cheval, et alla à la rencontre des intrus.
Il avança à couvert sur cent cinquante pieds*, et attendit qu'ils approchent.
Lorsqu'ils furent assez près, il identifia son homme dont il serra l'avant-bras, accompagné du frère de Niall, qu'il eut du mal à reconnaître.
Il se regardèrent un instant, tous deux frappés par l'étrangeté de la situation.
— Ça fait combien de temps ? voulut savoir  Odhrán.
Brogan l'observa un instant, avant de répondre.
— Presque un an...
Odhrán accusa le coup, mais se contenta de hocher la tête.
— Viens, fit alors Brogan, il y a quelqu'un qui est impatient de te voir.
Il les raccompagna en silence vers sa petite troupe. Alors qu'il dispersait ses hommes, Niall retrouva Odhrán.
Il resta un instant figé, devant son visage marqué par les épreuves, puis l'empoigna pour le serrer dans ses bras.
Effaré, il constata à quel point il avait maigri, et eut peur de le casser en deux tellement il paraissait frêle à présent. Il desserra son étreinte et contempla encore une fois son frère.
Odhrán regarda autour de lui.
— Est-ce que Petus est là ?
Niall secoua la tête.
— Je ne l'ai pas encore retrouvé, déclara-t-il d'une voix morne.
Odhrán sembla abattu, mais ne dit rien.
— Il faut s'en aller.
Brogan interrompit leurs retrouvailles, et les poussa vers les chevaux.

*1 pied = 0,3048 m
150 pieds ≃  45 m

Le Roi en Exil, tome 1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now