1.4 : feu grégeois

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La voix grave et rocailleuse surprit la jeune femme. Elle se tourna vers l'homme à la large carrure qu'elle avait vu à son arrivée.
Il s'était avancé vers la lumière et elle remarqua que ses cheveux n'étaient pas blonds, mais plutôt châtains, avec des mèches plus claires. Elle n'avait jamais vu un homme plus impressionnant. En plus d'être très grand et d'avoir des muscles noueux, il avait un charisme renversant.
Puis ses paroles traversèrent les brumes de son cerveau.
L'odeur de pin et de soufre, la substance gélatineuse sur son dos.
Elle tourna un regard horrifié vers l'homme.
— Mon dieu ! Il est encore en train de brûler !
Les hommes s'agitèrent.
— Quoi ?!
Magnus s'était approché d'elle et avait empoigné son bras.
— Il brûle, Magnus ! Le feu est en train de le dévorer de l'intérieur !
Elle se tourna vers les cinq guerriers, qui la fixaient sans comprendre.
— Portez-le ! cria-t-elle, une note de désespoir dans la voix.
Cavan et Doyle agrippèrent leur camarade.
— Amenez-le au lac. Il faut le plonger dans l'eau froide pour empêcher la brûlure de continuer à se répandre.
Ciarán fut hissé sur l'épaule de Cavan, qui jura sous l'effort. Même s'il était plus fin que les autres guerriers, Ciarán restait très musclé.
Neve les accompagna jusqu'au trou d'eau qui occupait le centre du terrain, entre la falaise et la forêt. À chaque averse, il se remplissait d'eau et formait un petit étang.
Cavan entra dans l'eau sans s'arrêter, malgré sa fraîcheur. Neve eut un instant d'hésitation, puis enleva ses bottes et ses bas, qu'elle abandonna sur la berge.
L'eau froide lui coupa le souffle, mais elle continua d'avancer jusqu'à avoir de l'eau au niveau du ventre, pour aider Cavan à maintenir son ami dans l'eau. Il essaya de ne pas placer ses mains sur ses brûlures quand il le bascula sur le dos, puis il regarda Neve, ne sachant trop ce qu'il devait faire ensuite.
Ciarán ne lui laissa pas le temps de réfléchir. Dès que son dos fut en contact avec l'eau, il réagit violemment et hurla de douleur. Il se contorsionna pour échapper à la poigne du guerrier, mais il en fallait plus à Cavan pour lâcher prise, d'autant plus que son compagnon était très affaibli. Lorsqu'il réussit enfin à le maîtriser et à le maintenir contre lui, Neve s'approcha pour vérifier ses blessures.
L'eau froide engourdit ses membres en quelques minutes et elle se mit très vite à greloter.
Cavan vit ses lèvres passer du rouge groseille, à un violet inquiétant.
— Combien de temps faut-il le laisser dans l'eau ? demanda-t-il, plus préoccupé par elle que par Ciarán.
— Je ne sais pas, répondit la jeune femme dans un claquement de dents.
— Repartez au bord, fit sèchement Cavan. Vous allez mourir de froid.
Neve secoua la tête, et repoussa d'une main humide la frange trop longue qui tombait sur ses yeux. Cavan regarda ses cheveux mouillés qui collaient à son visage et les images indécentes qui s'imposèrent à son esprit lui desséchèrent la bouche.
Il se crispa puis s'ébroua pour effacer ses idées déplacées. Neve le regarda, perplexe.
Se rendait-elle compte à quelle point elle était attirante avec ses lèvres charnues qui ne demandaient qu'à être embrassées, et sa tunique mouillée qui collait à sa poitrine comme une seconde peau ?
Cavan sentit la colère monter en lui. C'était la seule manière qu'il avait de reprendre ses esprits. Il lui jeta un regard noir et se détourna pour fixer ses compagnons qui attendaient au bord de l'eau.
Brogan gardait les bras croisés, les jambes légèrement écartées, la mine inquiète. Ils combattaient tous ensemble depuis deux ans, et jamais ils n'avaient été aussi prêts de perdre un membre. Il savaient que ce genre d'évènement arriverait. Ils étaient des mercenaires. La guerre, les combats jalonnaient leur vie. Ils avaient eu beaucoup de chance de s'en sortir indemnes jusque là.
Avant d'entraîner ces hommes, il avait été capitaine de la garde du palais. Il avait vu beaucoup d'hommes mourir pendant les campagnes contre l'ancien roi. Mais il n'avait jamais été aussi proche de ses soldats que des guerriers qui l'entouraient aujourd'hui. Ces hommes étaient comme des frères.
Perdre Ciarán risquait de briser leur moral et leur cohésion.
Brogan soupira et passa une main sur ses joues recouvertes d'une barbe blonde de quelques jours.
Cavan ignorait depuis combien de temps il attendait, dans l'eau, quand la voix de Neve le tira de sa rêverie.
— On peut le ramener.
Ciarán avait perdu connaissance depuis quelques minutes. Après avoir palpé son dos, la jeune femme avait remarqué que sa peau n'était plus brûlante.
Cavan hissa son ami sur l'épaule et repartit vers la rive, pour rejoindre les autres hommes.

Le Roi en Exil, tome 1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now