1.0 : Ciarán

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Essoufflés, ils posèrent leur compagnon, sur le ventre, sur une table en bois rudimentaire, assez grande pour contenir toute la longueur de son corps.
Il émit un râle de douleur et tenta de remuer.
— Ne bouge pas, lança Brogan, une main posée sur son épaule valide pour le maintenir en place.
Ce dernier regarda le dos brûlé de son homme. Ses vêtements avaient fondu sur sa peau, mêlant fibres de tissu et chair sanguinolente. La douleur devait être atroce, et comme pour le confirmer, Ciarán ouvrit des yeux hagards et gémit.
Brogan regarda ses hommes, un éclair de doute dans le regard. Leur mission aurait dû se passer sans problème, mais quelque chose n'avait pas tourné rond. Le retour de flamme avait gravement brûlé leur compagnon avant qu'il ait pu s'éloigner.
Un septième homme entra dans la pièce et son aura d'autorité éclipsa d'un seul coup les autres hommes présents.
— Sire, fit Brogan avec déférence. Vous n'auriez pas dû venir. Il faut vous mettre à l'abri.
L'homme tourna un regard amusé vers le chef de sa garde personnelle.
— Et où suis-je plus à l'abri qu'entouré de mes meilleurs hommes ?
Brogan devait admettre qu'il n'avait pas tort. Ils étaient les meilleurs, grâce à un entraînement hors du commun qui avait bien failli en tuer un ou deux.
Ciarán gémit encore, détournant son attention. Le roi s'approcha du blessé et constata les dégâts avec une grimace de compassion.
— Que comptez-vous faire ? demanda-t-il à son maître d'armes.
Brogan hésita. Il passa une main fébrile dans ses épais cheveux châtains foncés décolorés par le soleil et la mer. Brogan était un ancien marin qui avait quitté son amour fluctuant pour la terre plus stable. C'était le plus accompli des huit gardes du roi. Grâce à ses talents de marin, il les avait plus d'une fois tirés de l'embarras, et les faisait disparaître à volonté. C'était aussi celui qui savait se servir le mieux de toutes les armes à leur disposition. Contrairement à ses camarades, qui n'avaient qu'une ou deux spécialités chacun, lui excellait dans presque toutes : épée, arc, corps à corps, course, nage et toutes les armes qu'ils pouvaient imaginer.
C'était pour cette raison qu'il était leur chef, celui qui les avait entraînés pendant de longs mois pour devenir l'élite de l'élite. La garde secrète du roi. On les surnommait « les fantômes ». Ils protégeaient le roi, mais ils attaquaient aussi leurs ennemis en des points cruciaux, sans se faire repérer ou attraper. Jusqu'à aujourd'hui.
Son regard alla de Ciarán au roi, et il s'apprêtait à ouvrir la bouche quand on le prit de court.
— Je connais quelqu'un.
Brogan regarda celui qui venait de prononcer ces paroles. Magnus était le genre d'homme qui ne faisait jamais parler de lui. Ils devaient tous se tenir à l'écart du monde pour ne pas être repérés, mais Magnus était même à l'écart avec eux. Toujours silencieux, toujours secret. Il n'avait jamais réussi à le percer totalement.
Malgré les épreuves qu'il lui avait fait subir, malgré les privations et la douleur, il n'avait jamais craqué. Tous les autres avaient laissé émerger une petite faille dans leur carapace. Lui, non.
— Quelqu'un qui peut le soigner...
Brogan regarda le guerrier brun, puis le roi. Leur mission était secrète, leur existence même était secrète. Pouvaient-ils se permettre de se dévoiler à un inconnu, au risque d'être démasqués et tués ?
Le roi regarda Brogan, Magnus, puis Ciarán.
— De toute façon, finit-il par dire, il va mourir si on ne fait rien.
Brogan fit un signe à Magnus qui sortit immédiatement de la pièce.
— Cavan, tu l'accompagnes, ordonna-t-il à un autre de ses guerriers, dont les bras étaient entourés de tatouages tribaux.
Ce dernier hocha la tête, et suivit Magnus au-dehors.
Dès qu'il sortit, Cavan fut enveloppé par l'air frais de la nuit qui atténua à peine la fièvre qui s'était emparée de son corps dès le début de cette maudite mission. Il était encore sur les nerfs de leur course effrénée pour tenter d'échapper à l'armée du roi en place — un usurpateur ! — et pour la survie de leur ami.
Il prit une grande bouffée d'air avant de rejoindre Magnus qui grimpait déjà sur son cheval. Il se hissa à son tour, à la seule force de ses bras et emboîta le pas à son compagnon.
Ils s'enfoncèrent silencieusement dans la nuit, et poussèrent à nouveau leur monture au-delà de leur limite.

Le Roi en Exil, tome 1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now