4.2 : Darguen/Log/chien de guerre

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La salle du conseil était ridiculement petite à côté de la grandeur du château. La grande table rectangulaire qui occupait son centre laissait peu de place pour tourner autour.
Mais Darguen s'en fichait. Il jaugea les dix hommes assis devant lui, et se demanda lequel il allait sacrifier pour faire comprendre aux autres qu'il ne rigolait pas.
Tour à tour, il fixa le capitaine de la garde et son chien de guerre, le trésorier, son fils aîné, les deux seigneurs alliés et ses trois conseillers particuliers — dont un cartomancien.
Le capitaine et l'homme qu'il appelait « chien de guerre » ne baissèrent pas les yeux. Son fils et les deux seigneurs, non plus.
Pour ce qui était des autres, ils transpiraient la peur par tous les pores de leur peau.
Ils le dégoûtaient.
— Je me fiche de ce que ça coûtera, je veux leur tête ! cria-t-il pour bien se faire comprendre.
Le trésorier se recroquevilla sur son siège.
— On en a déjà eu un, fit remarquer Log, le capitaine de la garde.
L'homme, sans être extrêmement grand, était imposant. Trapu, son corps était façonné par les combats, musculeux et robuste. Une lourde épée à deux mains était accrochée dans son dos, dont seule la poignée dépassait par dessus ses épaules aussi larges que le fauteuil dans lequel il était assis.
Darguen le fixa durement.
— Un seul ? ! Où sont les autres ?
— On les aura, assura Log. Il nous faut un peu plus de temps. Ils disparaissent comme des fantômes.
Darguen fit claquer sa langue d'un air dégoûté.
— Des fantômes... cracha-t-il comme une insulte.
Ses conseillers s'agitèrent sur leur siège.
— Certains disent que ce sont des sorciers pour disparaître ainsi.
Log eut un sourire dédaigneux, tandis que l'homme à côté de lui se penchait en avant.
Les trois conseillers eurent un mouvement de recul devant le visage patibulaire du chien de guerre. C'était le bras droit de Log, un homme qui ne reculait devant aucune exaction quand on lui en donnait l'ordre. Sa figure était couturée de cicatrices, son nez de travers avait sûrement été cassé plusieurs fois, et ses yeux dégageaient une noirceur diabolique.
— Il n'y a pas de magie en ce monde, déclara-t-il avec un rictus de mépris. Ce ne sont que des hommes. La preuve, l'un d'eux n'a plus la tête sur les épaules. On les attrapera, finit-il en fixant Darguen.
Ce dernier se détourna.
Il n'aimait pas cet homme. Il s'en méfiait comme de la peste. Mais il avait besoin de lui, et il faisait confiance à son capitaine. Log maîtrisait son homme.
— Combien sont-ils ? demanda-t-il sèchement.
Il les fixa chacun à tour de rôle. Log haussa les épaules.
— Certainement une dizaine, répondit-il en homme habitué à jauger de telle situation rapidement.
Un des seigneurs s'éclaircit la voix.
— Certains parlent d'une cinquantaine...
Ce fut comme s'il avait donné le signal pour que tout le monde donne son avis.
Ils parlèrent tous en même temps : de guerriers diaboliques venus des enfers, de sorciers, de centaines d'hommes, d'une armée, de fantômes.
Jusqu'à ce que Darguen tape du poing sur la table.
Le silence revint, mais les esprits échauffés ne s'étaient pas calmés.
— Il y a peu de chance qu'ils soient plus d'une dizaine, argumenta Log. Cinquante grand maximum, mais ça me paraît peu probable.
Davos, le fils de Darguen, se pencha à son tour et tapota sur la table.
— Comment expliquez-vous, alors, les attaques simultanées de Crianlarigh et de Myrt ? Dans les deux cas, il fallait un nombre importants de soldats pour arriver à un tel désastre.
Log regarda le gamin qui ne devait pas avoir plus de vingt ans. Contrairement à son père, il était calme et réfléchi. Il le respectait parce qu'il sentait en lui le grand roi qu'il deviendrait plus tard.
— Avec des hommes bien entraînés, c'est un travail qu'on peut faire à quatre ou cinq, lui répondit-il.
Davos hocha la tête
— Bien entraînés ? s'étonna un seigneur qui portait toujours sa pelisse sur les épaules.
Darguen regarda l'un des plus hauts dignitaires de Kairn, la capitale du royaume. L'un des hommes que son lointain cousin, Niall, avait ignoré. Ce noble avait réussi à rassembler un millier d'hommes pour destituer l'ancien roi. Il ne ferait pas la même erreur.
— Ça veut dire quoi ?
Log se carra dans son fauteuil et soupira. Il détestait devoir justifier la manière dont se menait une guerre.
— Ça veut dire engager un petit nombre d'hommes, les meilleurs de préférence, et les entraîner jusqu'à ce qu'ils deviennent encore meilleurs...
Le silence revint autour de la table pendant quelques secondes.
— Et c'est possible de faire ça ?
La question absurde venait du deuxième seigneur de Kairn.
Log regarda son visage poupin qui n'avait certainement jamais eu à souffrir de la faim, mais ne prit pas la peine de répondre. Son regard glacial en disait long.
Le seigneur se recula et évita de lorgner dans sa direction.
Log plissa les yeux au souvenir de la proposition qu'il avait reçue, deux ans plus tôt. L'offre avait été assez surprenante pour qu'il la garde en mémoire aussi longtemps.
Former une garde d'élite.
Il se souvenait de l'homme qui était venu le voir, un géant au regard ambré, la voix rocailleuse et le teint hâlé. Mais à l'époque, cela ne l'intéressait pas. Il était mercenaire et gagnait bien sa vie comme ça, il n'avait aucune envie de faire partie d'une troupe, ni de devoir obéir à des ordres. Il était son propre maître.
Les choses avaient changé depuis, se dit-il en jetant un coup d'œil au nouveau roi.

Le Roi en Exil, tome 1 [TERMINÉ]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora