Qui A Tué Henry DeCalonne (Partie III)

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— Baldwin Chasen, répétai-je à voix basse, les yeux clos.

Je poussai un soupir de frustration. Je soulevai les paupières en prenant conscience de mon énième échec cuisant. Je promenai du regard la masse sombre d'arbres qui m'entourait. Un cri d'animal déchira brièvement le silence de la nuit, me faisant sursauter. J'entourai mon corps frissonnant de mes bras, comme pour me rassurer.

— Tout va bien, murmurai-je pour moi-même en me sentant profondément ridicule.

À vrai dire, je commençais à regretter l'assurance dont j'avais fait preuve plus tôt. Après le départ de Devonne et Dylan, j'avais immédiatement décidé que partir à la recherche de Baldwin serait une grossière erreur. Je savais que le jeune homme n'avait pas hésité un seul instant à s'enfoncer profondément dans les bois menaçants, qu'il connaissait bien mieux que moi. Telle était la raison pour laquelle une option radicalement différente s'était imposée à mon esprit.

Lors de notre rencontre, Evan avait réussi à me faire voyager jusqu'à lui en se servant du mystérieux lien qui unissait les Egarés d'une même génération. Cet inexplicable don s'était aussi manifesté avant cet épisode, me conduisant dans l'atelier de peinture de Dixie Paul, lieu en relation avec Alec Davis. Les deux faits avaient pour point commun de s'être produits sans aucune intervention de ma part. Mon premier voyage s'était fait de manière accidentelle, tandis que le second était arrivé à la suite des efforts d'un autre Egaré. Pourtant, je savais qu'à l'instar de ma capacité à contrôler les éléments, mes voyages pouvaient être déclenchés par mes propres pouvoirs. À la différence que je n'avais toujours pas réussi à lever le voile sur le déroulement d'un tel processus.

Malheureusement, il s'agissait du seul moyen que je possédais pour confronter Baldwin. Car je n'avais d'autre choix que de découvrir l'identité du régicide de Henry DeCalonne avant le début du Bal. Sans compter ma certitude que Baldwin détenait une information supplémentaire concernant les motivations de sa grand-mère. Et tout ceci me mettait dans une position bien pénible, puisque je me voyais forcée d'apprendre à contrôler un don qui m'échappait totalement.

Fermant les yeux une nouvelle fois, je laissai mes pensées vagabonder vers Baldwin. Je me rappelai les moments où il n'avait pas hésité à endosser un rôle d'allié précieux. Je me concentrai sur le souvenir du jeune homme, en espérant que cela suffirait à me faire voyager jusqu'à lui. À ma grande frustration, je ne sentis aucune sensation de vertige m'assaillir. Ceci n'était de toute évidence pas la bonne manière de procéder. Je tentai d'imaginer Baldwin dans la même posture que la précédente, adossé à un arbre dans les profondeurs de la forêt. Toujours rien. Je sentis mes épaules s'affaisser sous le poids du découragement.

— Où es-tu Baldwin ? soufflai-je en me massant les tempes.

Mon estomac se noua lorsque je me rendis compte du temps qui me filait entre les doigts. Si mon impuissance persistait, je risquais de rater le Bal des Réjouissances, ainsi que l'enclenchement de notre plan. Mais je ne pouvais pas me résoudre à abandonner aussi facilement...

C'est alors qu'une étrange idée me frappa de plein fouet. Je pesai le pour et le contre pendant quelques secondes. Lentement, la raison de mes échecs à répétition se dessina à mon esprit. À toute vitesse, ce que j'avais tenté de refouler durant des jours défila devant mes yeux. Je me revoyais à l'entrée du repaire des mercenaires, dans l'un des hangars du port. Et pour la première fois depuis le départ de Baldwin pour Millestburgh, j'acceptai le souvenir de ses lèvres sur les miennes. Je me forçai à mettre ma culpabilité dans un coin de ma tête à mesure que la lumière se faisait dans mes pensées.

J'étais amoureuse de Kian DeCalonne. Ceci était indéniable. Mais contrairement à ce que m'avait affirmé Devonne, je n'avais pas le droit d'occulter ce qui était arrivé entre Baldwin et moi sous prétexte que mes sentiments pour le prince étaient plus forts. Là où ce dernier fait était parfaitement clair, ce que j'éprouvais à l'égard du fils de Richard Chasen représentait à mes yeux un fouillis de pensées incohérentes. Car au fond, je n'étais même pas sûre d'éprouver quoi que ce soit, justement. Il se pourrait que ce baiser échangé ait réellement été rien de plus qu'un bref instant de confusion. Ou peut-être était-ce quelque chose de plus fort. Je l'ignorais encore. Et même si une part de moi aurait préféré continuer à nier l'évidence, je contraignis mon être à assumer ses actes.

(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant