(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.

La Cueillette (Partie 2)

La Patrie de la Renaissance était dirigée d'une main de fer par le roi Thobias DeCalonne, que je voyais souvent à la télévision lors de Bulletins spéciaux. Selon la rumeur, sa personnalité était parfaitement fidèle à l'image que son apparence physique renvoyait. Froide, implacable et indéniablement cruelle. Je n'en savais pas plus que cela sur la monarchie, simplement que la Reine Isabella était décédée plusieurs années de cela, et que le souverain possédait deux enfants. L'ainé était destiné à régner, reprenant ainsi le flambeau de la dynastie mise en place par son imperturbable famille.

En revanche, j'ignorais pratiquement tout de la fameuse Guerre mondiale qui avait conduit à l'apparition de notre nouveau monde. Les manuels scolaires ne mentionnaient rien à ce sujet, ou alors étaient emplis de zones d'ombre, comme si quelqu'un ne souhaitait pas que nous en sachions plus. Mais les Inaptes de Kalénine semblaient peu s'y intéresser, se contentant de vivre leur existence coincée dans une morne routine.

Néanmoins, ce combat destructeur ne semblait pas avoir tenu lieu de leçon aux deux uniques nations qui avaient réussi à renaître de leurs cendres.

La Patrie de la Renaissance et la Fédération Libre. Séparées par un océan, se livrant encore un combat sans répit depuis maintenant plusieurs décennies. Car aux yeux de ces deux géants, notre monde encore meurtri n'était pas assez grand pour être partagé. Le Front se situait d'ailleurs au cœur d'un continent aujourd'hui vide et abandonné, convoité par les deux côtés. L'Europe de son ancien nom.

Selon mes renseignements, la mystérieuse Grande Explosion avait causé bien moins de dégâts que ce à quoi on aurait pu s'attendre venant d'une bombe nucléaire. En effet, si l'ensemble de la végétation avait disparu pendant plusieurs années, laissant une terre aride et desséchée, les choses n'avaient pas tardé à lentement revenir à la normale. Progressivement avait réapparu la flore, suivie de la faune, même si plusieurs espèces animales avaient disparu à jamais avec la destruction de leurs habitats naturels.

— Ne quitte pas la boutique aujourd'hui, recommanda soudain Daniel en me tirant de mes ruminations.

Je roulai des yeux. Il m'arrivait souvent de rester dormir sur place lors des Cueillettes. Mais j'avais horreur de voir Dylan et son père s'inquiéter pour moi et me traiter comme une petite fille fragile. Surtout en sachant que de son côté, ma mère devait se faire un sang d'encre pour moi, tout en s'efforçant d'arracher un mot, autre qu'une banale formule de politesse, à Amy.

À onze ans, cette dernière était emmurée dans sa douleur depuis le décès brutal de notre père, malgré son jeune âge au moment de la tragédie. Son renfermement sur elle-même se traduisait par un comportement dénué de cette chaleur et innocence qui caractérise les enfants. En effet, Amy se contentait d'être polie et de répondre aux questions posées, sans pour autant laisser transparaître une quelconque émotion. Je n'arrivais même pas à me souvenir de la dernière fois où j'avais vu mon unique sœur esquisser un sourire ou encore verser une larme.

Je fus extirpée de mes pensées par la voix de Dylan, qui interrogea son père :

— Qui te dit que cette fois, les Aptes se contenteront d'arrêter des gens dehors. Pourquoi n'arracheraient-ils pas les gens à leurs maisons ?

Daniel soupira.

— Rien du tout, reconnut-il. Mais Kylie a plus de chances de rester saine et sauve à l'intérieur. Ne prenons pas de risque inutile.

J'ouvris la bouche pour parler, mais me ravisai au dernier moment en songeant qu'argumenter ne servirait à rien.

Les heures passèrent. Nous entendîmes des cris au-dehors, des supplications, de véritables hurlements de terreur. Je ne grimaçai même pas. J'étais désormais habituée. Mais soudain, me parvint aux oreilles le son d'une voix à l'agonie, à l'instar de celles l'ayant précédée. À la différence que cette voix ne m'était que trop familière.