(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.

CHAPITRE 4 : L'Illisible.

Je n'avais même pas remarqué les caméras qui, jusqu'à ce qu'on les éteigne, enregistraient le moindre des mouvements de la salle. Tout le monde retint son souffle tandis que le trio en face de moi me fixait, sceptique. Un long silence s'installa alors, uniquement rompu par ma respiration saccadée.

— Qui a osé ? frémit Thobias.

Une vague sembla parcourir l'assistance, et le raclement d'une paire de talons retentit bientôt sur le sol en marbre. Tout le monde reporta son attention sur la nouvelle venue. Je n'hésitai qu'une seconde avant de me retourner. J'eus la surprise de ma vie en découvrant Geneviève sur son trente-et-un. Elle ressemblait vraiment à l'une de ces Nobles superficielles. Ses boucles avaient été disciplinées et elle parlait avec une pointe d'arrogance dans la voix.

— Je l'ai rencontrée une demi-heure environ avant l'incendie. Elle m'a livré quelque chose. Kylie n'a rien à voir avec cette tragédie mon oncle.

Mon oncle. Je répétai ce mot mentalement, allant de surprise en surprise.

— En réalité, ajouta-t-elle, j'ai essayé de lire ses pensées ce jour-là, elles m'étaient inaccessibles. Je me suis heurtée à un mur de briques.

Plusieurs personnes dans l'assemblée poussèrent des exclamations de surprise.

— Comment ça, Illisible ? intervint l'intimidante jeune fille derrière Thobias.

Cette dernière me regarda un moment, puis haussa les sourcils de surprise.

— C'est... impossible, dit une voix hésitante dans l'assistance.

Hagarde, j'assistais à la scène en ayant l'impression d'être quelqu'un d'autre. C'était comme si mon cerveau se trouvait dans l'incapacité d'enregistrer quoi que ce soit.

J'avais plusieurs fois été en contact avec d'autres Aptes. Soit ils n'avaient jamais essayé de me lire, considérant les pensées d'une simple livreuse de bijoux inutiles. Soit ils avaient préféré garder le silence à propos du fait que mon cerveau soit indéchiffrable. Option dont je doutais fort.

Thobias reprit vite la situation en main.

— Geneviève, dit-il en plissant le front. Le fait qu'elle soit... Illisible la rend encore plus suspecte. Qu'est-ce qui nous prouve que ce n'est pas pour cette raison qu'elle aurait été envoyée par les responsables du soulèvement ?

— Il a raison, murmura la fille aux yeux verts, pensive.

Geneviève resta muette un instant avant de reprendre la parole :

— Rien, concéda-t-elle. Mais, soyons sérieux, Kylie n'a rien d'une rebelle. Elle ne vit que pour permettre à ses proches d'avoir une vie décente.

Un homme s'avança alors face au roi. La mine sereine, il s'enquit en fixant son souverain :

— Pourquoi ne pas demander son avis au prince héritier ?

Tous les regards convergèrent vers celui que j'avais surnommé le garçon de la Cueillette, y compris le mien. Le monarque leva les yeux au ciel, les dents serrées.

— Kian, grogna Thobias à contrecœur. Qu'en penses-tu ?

Le prénommé Kian prit son temps pour répondre. Il posa brièvement les yeux sur moi avant de reporter son attention sur la foule. Un sourire étira ses lèvres pleines lorsqu'il déclara calmement :

— Eh bien, je ne sais pas comment elle peut être immunisée contre les pouvoirs de l'Aptitude. Mais en ce qui me concerne, mon instinct me souffle que mademoiselle Taylor est innocente. Un peu de bon sens, je vous prie, j'imagine mal cette jeune fille risquer la vie de sa famille en prenant part à un projet aussi périlleux que stupide.

Je ne pus retenir un sourire soulagé. Mes épaules se détendirent légèrement. Derrière moi, plusieurs filles poussèrent un soupir de ravissement lorsque Kian haussa les épaules d'un air détaché. Cela me rappela les regards de braise que lançait Kat à Dylan lorsqu'elle venait me rendre visite à la bijouterie de temps en temps, ce qui ne manquait jamais de m'amuser. Mon cœur se serra lorsque je repensai à ce qu'avait dû endurer mon amie.

Thobias rougit violemment. Évidemment, les choses venaient de prendre un tour échappant à son pouvoir royal. Kian sembla se tasser sur lui-même face à la colère palpable de son père.

— Nous allons vérifier les informations données à propos de l'accusée, décréta-t-il finalement d'un ton où pointait une menace voilée. En attendant, ne vous faites pas plus de sang d'encre concernant votre sécurité. Le Conseil a les choses sous contrôle.

Obéissant à un ordre que je ne saisis pas, les Nobles se levèrent un par un et se mirent à quitter la pièce. Cependant, je vis un petit groupe d'hommes s'attarder auprès du roi, me lançant des regards interloqués. Le souverain leur adressa alors un geste impatient de la main en leur glissant quelques mots. Avec un énième regard appuyé, les dernières personnes restantes se dirigèrent alors vers la sortie, échangeant des messes basses.

Pour ma part, j'osais à peine respirer. Je déglutis bruyamment en voyant qu'il ne restait désormais plus que moi, Geneviève, Kian, Thobias, et l'inconnue qui devait être la princesse. Tout le monde garda le silence un moment, puis le roi se tourna vers sa nièce.

— J'espère, dit-il à Geneviève, que tu es consciente du risque que tu prends en défendant cette fille. Peu importe le sang royal qui coule dans tes veines, je n'hésiterai pas à te faire payer si quelque chose arrive par sa faute...

— J'en suis consciente, répliqua calmement la jeune fille. Je ne connais que trop bien vos tendances, mon oncle.

— Cette fille est une anomalie, laissa tomber la fille aux yeux verts en me toisant d'un air de dégout. Personne n'est censé résister à l'Aptitude. Ni Apte, ni Inapte.

— Devonne, soupira Kian, arrête de donner le feu vert à ta langue avant de réfléchir...

Devonne s'apprêta à répliquer, mais le roi l'en empêcha en se tournant vers moi. Elle suspendit aussitôt son geste, scrutant attentivement la scène. Le regard de Thobias était si meurtrier que mes genoux faillirent se dérober sous mon poids.

— Je préfère être franc avec vous, Kylie Taylor, si cela n'avait pas eu lieu en public, avec les membres de la Cour en guise de témoins, ou encore sans la stupide intervention de Geneviève, vous seriez morte à l'heure qu'il est. Et rien ne m'empêche de revenir sur ma décision de vous garder en vie.

Il s'interrompit, histoire de me donner le temps de digérer ses paroles. Je déglutis bruyamment.

— Cependant, poursuivit le roi trop tôt à mon goût, un sourire inquiétant aux lèvres, je pense que votre... intrigante immunité nous sera au contraire très utile.

Je redoutais tant la suite que j'en oubliai de relâcher mon souffle.

— J'ordonne que vous vous installiez ici, à la Résidence Royale. Dès aujourd'hui, vous serez considérée comme membre de l'Elite et bénéficierez de tous les privilèges qui vont avec. Vous resterez saine et sauve, personne ne s'en prendra à vous tant que vous demeurerez au sein de ma Cour. Du moins du moment que vous ne faites pas de vagues compte tenu des circonstances.

Mon interlocuteur marqua une pause. Je frottai mes paumes moites l'une contre l'autre.

— Que dois-je faire en échange de votre indulgence ? murmurai-je d'une voix blanche.

Thobias s'approcha alors de moi à pas lents, les mains dans le dos, comme un lion guettant une proie particulièrement alléchante.

— Et bien, disons que viendra le moment où je vous demanderai de me rendre un service. Et lorsque ce jour arrivera, vous n'aurez d'autre choix que de m'obéir si vous souhaitez protéger votre misérable existence.