Oeil Noir (Partie II)

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Quelques instants plus tard, nous émergeâmes dans une grande salle éclairée par des lampadaires suspendus au plafond. Encouragée par la main de Baldwin posée dans mon dos, j'avançai sur le parquet poussiéreux. Ma mâchoire se décrocha bien vite lorsque je vis le spectacle qui se déroulait face à moi.

Nous nous trouvions désormais dans une sorte de taverne. Plusieurs tables en bois étaient disposées dans la salle. Y étaient installés des hommes à l'aspect peu avenant. Certains buvaient le contenu de chopes en étain, d'autres tenaient des conversations bruyantes, s'esclaffant d'une voix tonitruante. Autour d'eux s'affairaient des serveuses, des expressions craintives sur le visage.

― Dans quel pétrin est-ce que tu viens de nous fourrer ? grinçai-je à l'intention de Baldwin.

Ce dernier se rapprocha de moi, le visage fermé.

― Est-ce que tu vois toutes ces filles ? chuchota-t-il.

Mon regard se posa par hasard sur une petite brune aux mains tremblantes qui s'appliquait à remplir le verre d'un grand gaillard. Elle me fit aussitôt penser à Anna, mon ancienne femme de chambre Inapte. Je me rembrunis aussitôt en me souvenant que cette dernière attendait son exécution pour avoir obéi aux ordres de la Cape Rouge.

― La plupart sont des Inaptes d'Ambre, m'apprit mon ami. Elles travaillent clandestinement pour ces brutes avec l'espoir que l'un d'eux leur trouve une embarcation qui pourrait les mener vers Millestburgh, puisqu'elles n'ont pas les moyens de payer la traversée. Ce que ces filles ne savent pas, c'est que les mercenaires les tiennent en laisse pour le restant de leurs jours.

Je hochai la tête, me sentant soudain nauséeuse. J'imaginais ma mère et Amy tenter de traverser le fleuve de manière clandestine. J'enfonçai mes ongles dans les paumes de mes mains afin de chasser l'image de leurs corps inertes flottant à la surface de l'eau.

― C'est horrible, lâchai-je d'une voix enrouée.

Baldwin s'apprêtait à répondre, mais il s'interrompit au moment où le bruit dans la salle diminuait brusquement. Je compris aussitôt que nous étions repérés. Les regards des mercenaires convergèrent vers nous. Je m'empressai d'ajuster ma capuche, prenant soin de ne pas laisser mon visage à découvert.

Un quadragénaire à la barbe hirsute se leva d'une table avant de s'approcher de nous d'un pas lent. Son regard féroce se posa sur moi un instant, balayant mon corps du regard. Je me raidis aussitôt, et Baldwin s'empressa de me pousser derrière lui dans un geste protecteur.

― Baldwin Chasen ! tonna le mercenaire en écartant les bras. Alors, la dérouillée que tu t'es prise il y a deux ans ne t'a pas suffi ? Tu en redemandes ?

Je tressaillis et agrippai instinctivement le manche de mon poignard. Une volée de rire s'éleva dans la taverne, et je vis un muscle tressauter sur la mâchoire de Baldwin. Ce dernier se mit alors à applaudir lentement.

― Tu as toujours été un sacré comique, Sam ! rétorqua-t-il. Mais non, je ne suis pas ici pour être roué de coups. J'ai eu ma dose ces derniers jours.

― Ce gosse est suicidaire ! lança un homme dans l'assistance. Il se pointe ici comme une fleur après nous avoir balancés à Allen ! Tu as la mort de l'un des nôtres sur la conscience, gamin !

― Ce n'était pas moi ! riposta Baldwin en élevant la voix afin de couvrir le son des quolibets. C'était Hugo Grant !

Le prénommé Sam leva une main afin d'exiger le silence.

― Pourquoi est-ce que l'on te croirait ? lâcha-t-il avec un air suspicieux.

― Parce que Hugo l'a payé de sa liberté, et de sa dignité, répondit Baldwin d'un ton plus posé. Alors que je suis en face de vous aujourd'hui.

(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant