Dilemme Et Régicide (Partie II)

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Assise en tailleur au centre de la Salle d'Entrainement, je fixais les hautes flammes bleues qui m'entouraient de toutes parts, m'empêchant de distinguer les murs ou l'entrée de la pièce. Je ne tressaillis même pas en sentant des gouttes de sueur se mettre à perler sur mon front. Grâce à mes gènes d'Egarée, je ne ressentais qu'une chaleur réconfortante. Un peu comme lorsqu'on expose une personne en hypothermie aux rayons du soleil. Mais je savais que la température serait insoutenable pour quiconque franchirait le pas de la porte. Telle était la raison pour laquelle j'avais pris soin de verrouiller la serrure derrière moi. Mêlée à mon refus de me confronter une nouvelle fois à qui que ce soit...

Avec indifférence, je fis tourner entre mes doigts le collier d'émeraudes autrefois conçu par Daniel Anderon à l'intention de Devonne. Cette dernière m'avait fait parvenir le bijou peu après l'entrée du créateur à la clinique du Palais, pensant que je méritais de garder quelque chose de celui qui m'avait apporté son aide durant tant d'années. Obéissant à une impulsion, je lançai négligemment la rivière de diamants dans les flammes. Je me sentis étrangement détendue en observant le précieux objet être détruit par mes pouvoirs. A mes yeux, la dernière création du père de Dylan symbolisait la transition entre la craintive Inapte de Kalénine et l'Egarée restée dans l'ombre pendant seize longues années.

— Une bonne chose de fait, murmurai-je pour moi-même.

En détruisant un élément matériel de mon ancienne vie, je m'attendais naïvement à ce que le fouillis dans mes pensées ne s'éclaircisse. Mais je ne parvenais toujours pas à identifier ou à séparer les émotions contradictoires qui se disputaient mon attention.

Fermant les yeux, je convoquai le souvenir d'Amy. Cette dernière s'imposa aussitôt à mon esprit. Avec un pincement indescriptible au cœur, je revoyais le regard bleu et vide de ma sœur. Je me souvenais du courage presque effrayant dont elle avait fait preuve à la mort tragique de notre père. Alors que je m'étais jetée à corps perdu dans mon nouveau travail au sein de la bijouterie Anderon, c'était Amy qui avait séché les larmes de notre mère. Amy qui s'était occupée de la maison sans broncher, alors que je bataillais avec notre génitrice pour obtenir le droit de prendre en charge notre situation financière. Et au fond, je savais pertinemment que c'était ma sœur cadette qui avait le plus souffert du décès brutal de Joe Taylor. L'enfant qu'elle était n'était jamais parvenue à extérioriser sa peine, se contentant de se murer dans un silence empli d'une monstrueuse frustration. Amy Taylor avait grandi trop vite, mûri d'une mauvaise manière...

Avec le recul, je me rendais compte que j'aurais probablement pu faire plus d'efforts pour lui venir en aide. J'aurais dû la confronter, la forcer à me parler. Aujourd'hui, il était peut-être trop tard pour sauver ma sœur du gouffre émotionnel, la mort de notre mère ainsi que son inexplicable arrivée chez les Déclassifiés ayant sans doute achevé de détruire son âme. Mais j'avais désormais une chance de ramener Amy vers la lumière, et d'alléger mes remords en la sauvant des inévitables horreurs qui l'attendaient au Camp. J'avais cru comprendre que l'homme infiltré d'Allen avait jusqu'à présent réussi à protéger ma sœur des Déclassifiés. Ces derniers étaient réputés pour leur brutalité et leur barbarie. Monstrueusement endurcis par les conditions déplorables de vie qui leur étaient imposées, les Déclassifiés étaient arrachés à leurs proches sitôt leur véritable nature révélée, avant d'être déportés dans des camps isolés du reste de la population.

Cependant, le prix à payer en échange de l'évasion d'Amy et de sa vie sauve me semblait bien trop élevé. Étais-je réellement prête à prendre part à un Régicide, au risque de basculer dans un monde sombre qui avait déjà accueilli le second Egaré encore en vie ? Thobias s'illustrait peut-être par son comportement cruel et égoïste, mais il demeurait un homme blessé et perdu dans sa douleur. Et plus important encore, Thobias DeCalonne était un être humain, sa vie étant aussi précieuse que n'importe quelle autre. Sans compter que le roi était l'unique parent qui restait à Kian et Devonne. Et malgré l'attitude paradoxale du monarque à l'égard des deux enfants nés après le bannissement d'Evan, je savais que ces derniers seraient détruits par l'assassinat inévitable de leur père. Ma réticence à leur imposer en plus ma trahison était donc mêlée à ma peur de perdre leur confiance.

(Gratuit le 3 Janvier) APTITUDE : Le Chaos Et La Couronne.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant