Il était une fois

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- Z... Zelyan ?

Personne ne lui répondit. Le monde s'éclairait sous un nouveau jour. En bas le lac s'était étendu grâce au Déluge déclenché par Zelyan. Il occupait à présent la moitié de la vallée. L'autre était recouverte d'une herbe tendre et grasse, bourrée de vie. La Nature chantait, littéralement. Ereyne l'entendait comme jamais. C'était comme si, des forêts en haut des collines aux petits étangs dans les jardins, toute la vie présente se réjouissait de la disparition de Zelyan. Ereyne sentait ses yeux la piquer atrocement, elle n'avait jamais tant été en contradiction avec le monde qui l'entourait. Elle serra un peu plus ses mains sur la rambarde du balcon. Une larme lui embrouilla la vue et elle cligna brièvement des yeux. Lorsqu'elle les rouvrit elle n'était plus au château mais debout en plein milieu de la vallée.

Elle se retourna brusquement et constata qu'elle était toujours là-bas. Son corps était toujours sur le grand balcon, Ling sur les épaules, les yeux perdus dans le vide. Elle était là-bas, et ici. A ses pieds voletaient des plumes d'anges, des milliers de plumes. Elles tapissaient le sol à perte de vue. Ereyne se serait crue en plein milieu d'une bataille de polochon si ces petites choses blanches n'étaient pas noircies par endroit, et si l'herbe n'était pas jonchée de cadavres d'anges sanguinolents. Même dans la mort les anges étaient beaux. L'immortelle songea à toutes ces âmes guerrières qui avaient offert leur vie à Dieu pour lui permettre de vaincre son ennemi. Elles s'étaient sacrifiées sans sourciller, guidées par leur foi, cette même foi qui manquait à Ereyne depuis si longtemps.

Savoir lui avait fait arrêter de croire, depuis bien longtemps. Et pourtant, malgré les millénaires, elle espérait que tout s'arrange, que la parole de son père fasse loi, que tout ce qu'Adam avait pu lui raconter durant son enfance soit avéré. Le Mal n'existait que pour mieux être vaincu, et Zelyan avait disparu, Adam avait gagné.

L'immortelle se baissa et saisit une plume du bout des doigts. Elle était si petite, immaculée et si légère que la moindre brise l'entraînait vers des lieux lointains. Cette plume était la douceur incarnée, la beauté innocente qui aurait dû habiter tous les cœurs, qui aurait dû habiter son cœur.

— Projection astrale mon enfant ? Pas mal.

Ereyne écarta une mèche de cheveux qui lui barrait le visage et leva la tête vers son père. Adam s'était silencieusement approché d'elle, aussi vif que l'éclair. Il regardait sa progéniture avec un sourire bienveillant et amical, tel un père heureux de voir son enfant. Ereyne le trouva plus soulagé que victorieux, comme s'il ne réalisait pas l'importance de son acte.

— Tu m'as manqué Ereyne, déclara simplement Adam en ouvrant les bras.

Elle hésita un instant puis vint se blottir contre lui et l'enserra de ses petits bras. Comment pouvait-elle le toucher sous cette forme ? Elle l'ignorait et s'en moquait éperdument. Adam se referma autour d'elle et la laissa s'abandonner. Ereyne pleura de tout son saoul, brisée par ce vide que Zelyan avait creusé. Cela lui faisait tellement mal qu'elle n'arrivait pas à l'exprimer avec des mots, ni même des sentiments. S'ajoutait en plus une culpabilité rongeuse : Dieu, malgré toute sa violence, offrait une meilleure alternative post-mortem à l'Homme que Zelyan qui représentait le Mal, elle devrait se sentir heureuse. Elle devait se féliciter de voir le Bien gagner. Car c'était dans l'ordre des choses. Si le Bien ne gagnait pas alors à quoi bon se battre ? Mais à cela s'ajoutait une petite voix intérieure qui lui murmurait que Dieu n'était pas plus le bien que le mal, pour l'Homme du moins.

La promesse faite d'un paradis au prix d'une soumission sans faille ne pouvait pas être la solution. Eve n'y avait jamais cru, et si sa mère ni croyait pas alors Ereyne non plus. C'était stupide, sans fondement, mais elle avait une confiance aveugle en sa mère. Adam était là, bien vivant contre elle mais, alors que tout se bousculait dans son esprit, c'était à sa mère qu'elle songeait. A elle et à cette douleur dans sa poitrine qui ne cessait de la torturer. Elle avait mal, tellement mal.

Immortels I : Déluge [Edité][Version intégrale Wattpad]Where stories live. Discover now