Armé de ses deux bâtons pointus et suivi de ses deux amis poilus, il s'était mis en route aux aurores vers les bois emmitouflés de brouillard. Il avait devant lui une journée pour débusquer et affronter un cerf. Si la chance ou la compétence lui manquaient, il pouvait toujours attendre l'année suivante pour repasser son épreuve. Mais il n'était pas seul à faire son Daeraborn.

En effet, lorsqu'il avait manifesté le désir d'être éprouvé, deux autres candidats s'étaient empressés de se proposer également. Le premier, Ulwän Grimsïn, était le fils de l'ami le plus loyal de Père, le lord de Roche-aux-Corbeaux. Un gars qui n'avait pas froid aux yeux. Ami de son défunt frère Deren, il l'avait accompagné en croisade et avait connu le Gué Sanglant. Le second, Dolf Daganson, était le fils d'un Bluteynir du roi. Un peu plus jeune que le prince, rendu légèrement boiteux par une blessure d'enfance, Léoric soupçonnait qu'il le fît surtout pour impressionner son père.

Dès lors, sans qu'il y eût une rivalité affichée, le prince ne pouvait décemment être le seul des trois à revenir bredouille. Ça avait été pour lui un surcroît d'anxiété. Par chance, ses chiens avaient rapidement flairé une piste fraîche et le climat bruineux lui avait facilité le pistage. Sa chasse, dans les brumes veloutées, au cœur de la forêt dense et moussue, lui semblait un rêve irréel à présent.

À l'affût, au ras du sol, les sens en éveil, il s'était enfoncé au plus profond de la forêt. Sans monture, le ventre vide, il lui avait fallu mener une traque de plusieurs heures. Ici une silhouette furtive, le frémissement d'une branche, là un galop rapide mais assourdi, l'écho d'un mugissement. Toujours, et si discret qu'il fût, la proie semblait s'évaporer à son approche. Le brouillard s'était dissipé et le soleil avait dès longtemps quitté son zénith lorsqu'il avait enfin coincé la bête sur une crête pour lui faire face.

Ils s'étaient observés, un instant, partageant la certitude que l'un d'eux ne verrait pas le crépuscule.

Le cerf n'était pas tombé sans lutte. Le premier épieu l'avait seulement blessé et Léoric avait échappé de peu à une redoutable ruade. Il avait ensuite profité qu'il fût moins vif pour frapper à nouveau. Le second coup, si terrible que la hampe s'était brisée, avait condamné l'animal, mais ne l'avait pas pour autant empêché de poursuivre l'affrontement. Un coup d'andouillers avait entamé le dos du prince et l'avait envoyé bouler à plusieurs pas. Hardi avait alors sauté à la gorge de la bête pour l'achever et n'avait plus lâché prise qu'elle ne fût bel et bien morte.

Lorsque le cerf eut rendu son dernier souffle, Léoric avait récupéré un gobelet de sang, puis les bois et la peau pour s'en revêtir. Étrangement, c'est avec un certain plaisir qu'il se remémorait le contact chaud et poisseux de l'étoffe sanguinolente. Car en effet, cette seconde peau lui avait offert une protection bienvenue contre le froid qui l'avait accablé tout le jour. Il avait ensuite laissé les chiens faire bombance, mais lui rien, il ne pourrait manger à nouveau qu'une fois son Daeraborn achevé.

À son retour, accoutré de la peau de la bête, on l'avait amené ici, au temple. Il s'agissait d'un édifice rond, niché dans le sommet d'une colline en bordure de la ville. Ses murs étaient de bois et de pierres, son toit de terre et d'herbe. Au centre du sanctuaire brûlait le feu, cerné de bancs et de grandes effigies des dieux. Dessous étaient creusées les cellules de méditation autour d'un large bassin d'eau tiède.

C'est là, dans la salle d'eau, que l'attendait la dwynae. Probablement une de ces mystérieuses femmes d'Oracle. Assise dans le bassin, immergée jusqu'à la taille, la peau parcourue de tatouages bleutés, elle était entièrement nue à l'exception d'un masque de plumes noires. Léoric s'était figé de stupeur et la prêtresse était venue le dévêtir. Ses gestes lents, cette singulière impudeur, le regard énigmatique derrière le masque, tout avait quelque chose de sensuel dans son attitude. Léoric avait à peine osé la regarder, mais son corps l'avait trahi et, tout au long du bain, son sexe était resté en érection. « Un bon présage », lui avait-elle cependant confié. La prêtresse avait ensuite lavé son corps des pieds à la tête, nettoyé ses blessures, sans prononcer d'autre mot. Le prince n'avait pas osé rompre le silence et s'était contenté d'apprécier ce moment d'intimité, sa peau douce, cette eau tiède, après la traque, qui n'avait été qu'effort et peur.

L'empire de la nuitحيث تعيش القصص. اكتشف الآن