Chapitre 31 (Gwydion)

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Toute la fine fleur des environs était entassée ici et pourtant il n'y avait rien qui inspirait le moindre confort. Que du contraire. Une odeur de moisissures vous prenait au nez, jusqu'à provoquer une sensation d'étouffement. Sans compter l'absence de lumière vu que nous nous trouvions sous terre et donc, la fumée des torches situées tout le long du trajet venait achever le peu de souffle qu'il nous restait. Mais au fond, ce devait être ça qu'ils recherchaient, se repaître de ce qu'il y avait de plus sordide pour pouvoir se sentir vivant.

Les caves de chez Apries donnaient sur un enchevêtrement de couloirs tantôt hauts, tantôt étroits et menant à une vaste salle. L'on eut dit les vestiges d'une ville ancienne ayant disparu sous des tonnes de terre et de roches. Mais la place était propice à y rassembler autant de monde qu'il le fallait. Et tout cela, loin des yeux des autorités.

Le côté illégal de ces combats empêchant Caius de trop se plaindre de la situation. Il m'avait bien évidemment mis en pleine face la possibilité de laisser Thétis entre leurs mains plutôt que d'accepter leur chantage, mais c'aurait été tuer celle qui me forçait moi, à me battre et lui permettre de gagner ses derniers sesterces. Un dilemme qui, malgré toute l'inquiétude que cela me procurait, me laissait comme une impression de vengeance. Qu'est-ce que cela faisait d'être l'objet d'un infâme marché à son désavantage ? Hein Caius ?

Le marché était clair. Pour qu'elle revienne, je devais tout d'abord gagner. Quatre jours à tenir dans cette ambiance de bacchanales aux relents de mise à l'abattoir. Je cherchais à retrouver cette rage qui m'avait envahi jusqu'à la folie la fois précédente et permis de survivre, mais n'y parvins pas. Quelque chose depuis avait changé. Et cette chose était simple à cerner. J'avais perdu ma rancune. Remplacée par la peur et espérant qu'elle soit suffisante.

Premier combat. J'avais mordu la poussière. En face de moi, mon double. Tout aussi rapide et fin que moi, il me prit de vitesse. Jeu de jambes, vitesse de frappe, je n'avais rien vu venir. Pour remporter un tour, il fallait gagner deux combats. J'avais raté ma première chance.

Amasis me ramassa une fois mis à terre, me porta deux gifles magistrales destinées à me faire revenir à la raison, ou à tenter de m'ôter quelques dents, j'hésitais. Me secouant ensuite tel un pommier à la bonne saison.

– Reprend toi gamin ! Gwydion ! Tu n'es pas tout seul dans l'arène, vous êtes deux ! Elle et toi ! Si tu y restes, vous y restez tous les deux !

Sa voix me parvenait et je comprenais parfaitement ou il voulait en venir. Mais j'avais son image devant les yeux. Thétis. Son sourire, ses larmes. Et la certitude qui me broyait les entrailles, surpassant tout le reste, que de toute manière et quoi qu'il arrive, mes chances de la revoir étaient quasi nulles.

– A quoi bon...

Je reçus de nouveau une gifle, faisant vibrer la boite crânienne et lâcher un grognement.

– Tu as peut-être raison au final. Crève ici et laisse la finir dans un bordel ! Ou lève-toi et bats-toi !

– Mais c'est ça le contrat Amasis ! Que je crève ici pour sa liberté ! Tu ne comprends pas ! hurlais-je. Tant pour qu'elle revienne que pour m'entailler plus encore avec cette réalité. Mais pas aussi vite, tu as raison. J'ai été surpris, je ne suis peut-être pas de taille.

– Et toi tu ne comprendras donc jamais que c'est elle qui te porte ! Et non juste tes jambes ! Comme moi avec mon frère. Parce que oui, moi aussi je me bats pour quelqu'un et non juste pour ma carcasse. Pour ce gamin qui est de mon sang, lui, et aussi borné que toi. Je ne tiens le coup que pour lui, pour payer sa liberté et le ramener chez nous. Mais si ce sont les termes de ce marché que tu as accepté, pose-toi donc la question. Quel est le plus important pour toi. Ta liberté ou sa vie.

Il me lâcha enfin, mais trop brutalement, et je me repris de justesse, chancelant alors que l'on rappelait pour le second combat. Mon adversaire sautillant sur place, frais comme la rosée me faisant quelques gestes provocateurs pour que je le rejoigne.

Ma liberté ou sa vie. C'est elle qui me porte. Je me mis face à lui, exaspéré de le voir encore si en forme. Après tout, je l'avais à peine touché. Ma liberté, c'était à Rome que je pouvais l'y trouver et il n'en avait plus été question depuis mon rachat par Caius. Ma liberté, un lopin de terre, une femme, son image, des enfants, les nôtres... Je n'y goûterai jamais. En définitive, ce n'était pas mon destin.

Je le laissais me défier, me tourner autour, dessinant un large cercle autour de moi, se fatiguant pour rien à faire ainsi le singe. Faisant s'impatienter le public qui venait déjà à se plaindre. À voir Caius du coin de l'œil aussi pâle qu'un linge de me croire déjà perdant. Ah... cela me rappelait quelque chose. Une arène, la liesse, la victoire. Je levais les bras. Ils savaient qui ils venaient voir non ? Ils connaissaient mon nom, sa réputation, sa valeur.

– Vous voulez voir Callidromos se battre !

À l'unisson, ils répondirent, acclamant, hurlant de faire commencer le combat. Et j'entendis depuis le rebord de la piste de fortune, la voix d'Amasis qui scandait afin de les inciter à faire de même. 

« Callidromos ! Callidromos ! » 

Ils reprirent rapidement, en un rythme si soutenu qu'il devenait entêtant. Alors je m'avançai sur ma proie, déterminé à ne pas le laisser sortir d'ici debout. J'avais fait mon choix. Pour Thétis, pour qu'elle vive !

La muse de CallidromosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant