Chapitre 6 (Thétis)

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Ses mots étaient rassurants, mais je n'osai lui exprimer ma gratitude tout haut. Sans doute ne savait-il pas, mais il ne me sauvait en rien du sort que l'on me projetait. Ce ne serait que remis à une autre fois.

– Voudriez-vous que je demande à ce que l'on vous apporte à manger ? Ou vous faire préparer un bain ? L'on m'a ordonné de vous servir de cette façon et... cela vous ferait, je crois, le plus grand bien.

Je ne pouvais pas en rester la, l'on aurait trouvé cela étrange qu'il ne dîne pas ni ne se baigne et cela me serait retombé dessus. De plus, de le voir dans cet état même s'il tâchait, je le voyais bien, de se contenir à présent, me fendait le cœur. Sans compter qu'il était réellement très sale. Ses habits étaient encore couverts de terre et de sang, lui même en portait des larges plaques séchées sur sa peau. Ses larmes ayant pratiquement creusé des sillons propres sur ses joues.

– Dois-je en conclure que tu estimes que j'aurais bien besoin d'un bain ? fit-il, m'effrayant sur l'instant alors que je craignais l'avoir agacé, mais un sourire franc me prouva immédiatement le contraire. Tu as raison, c'est abominable. Fait comme il se doit. Tu feras venir le repas ensuite.

Je me sentais presque heureuse de pouvoir le servir subitement. Était-ce parce que je n'allais pas être punie ou bien son visage qui s'était éclairé tout à coup. Je me levai et allai à la porte, prévenir les gardes que l'on apporte baquets et victuailles. Ce qui se fit rapidement pour les premiers. Tout était prévu et n'attendait que son bon vouloir.

L'on amena l'eau et je m'assurai que le bain soit d'une température idéale, j'avais été achetée pour ce genre de choses essentiellement. Depuis quelques mois maintenant je servais de cette façon, selon les opportunités, mais jamais de façon directe. Mais même si l'on venait à penser le contraire, ce n'était pas ici que je fus formée.

Je venais des belles îles de Crêtes, où mon père était l'un des généraux des armées de notre roi. Considérant que pour être digne de commander, il était obligatoire d'être capable de réaliser soi-même ce que l'on ordonnait, il m'a élevée dans ce même esprit. Pas de m'employer au combat, non. En tant que femme, je devais un jour servir celui qui serait mon époux et diriger sa maison, attribuer les tâches de nos serviteurs. Et pour cela, il me fit enseigner ce que chaque servante devait être capable d'accomplir. La cuisine, la couture ou même l'entretien. Cela semblait absurde et déplacé aux yeux de biens d'autres familles de haut rang, mais il ne plia pas.

Lorsque ma mère me mit au monde, il fut hélas et trop rapidement le seul à pouvoir m'offrir un nom et me donna celui de Thétis. Qui, selon nos croyances, était la mère du héros Achille. Prétendant qu'avec un tel nom, moi aussi je donnerai le jour au plus vaillant des guerriers et qu'il serait alors le plus fier des grands-pères à lui enseigner lui-même l'art de la guerre et le mener vers bien des victoires. Pour cela, il avait conclu de me faire épouser l'un de ses officiers. Mais cet homme me parut brutal et repoussant et, désobéissante comme jamais je ne l'avais été, je préférais m'exiler auprès de quelques parents d'une ville voisine.

Mais je n'arrivais jamais jusqu'à chez eux, tombant aux mains de vendeurs d'esclaves en cours de route. Ce fut ma vertu qui me sauva la première fois, les vierges surtout si elles étaient avenantes se monnaient cher.

Il s'approcha lorsque je me relevai d'avoir terminé de préparer son bain, sans que je n'eus à l'appeler et je m'écartai afin de le laisser s'y plonger à son aise. Je me retrouvais sans y prendre garde, à m'être reculée jusqu'à me retrouver dos contre le mur à l'observer, ôtant ses habits souillés. Dessous, sa peau claire contrastant avec celle, crasseuse de ses membres, de son torse et de son visage. Si j'avais eu à mon plus grand désarroi, l'opportunité de voir d'autres hommes nus avant lui, il y avait chez lui quelque chose d'étonnement différent. Il était fin, mais des muscles solides se dessinaient très discrètement sous sa peau. Et maintenant que je m'y attardais ressortaient avec plus de précision sous les plaques de boue. Quel âge devait-il avoir au juste ? À peine une vingtaine d'années. Et son corps était déjà si marqué en divers endroits. Fouet, coupures diverses, traces semblables à des brûlures. Sans compter les ecchymoses et blessures récentes. Pourtant rien de tout cela ne lui ôtait le moins du monde sa beauté. Il me semblait avoir devant moi la statue vivante d'un Apollon ou d'un Hermès. Taillé finement, mais bâti avec un souci de perfection digne du plus grand sculpteur.

Et moi, pauvre océanide perdue devant cette divinité grecque, je me sentis subitement fébrile.

La muse de CallidromosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant