Chapitre 39

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"Bien reçu."

Sur ce, Grégory Jones raccroche le combiné du téléphone public. La capuche de son sweat rabattue sur ses cheveux bruns, les mains dans ses poches, il se fond dans la masse, poursuivant son chemin comme si de rien n'était. Or le temps lui est compté. Bientôt, il devra retourner dans l'armée ; ordre de son supérieur. Qu'en est-il de sa vengeance ?

À la croisée de deux rues, il passe tout près de la détective qui a été chargée de l'enquête concernant la mort de Sara. Comment oublier son visage ? L'air de rien, l'agent de police fait son chemin, car contrairement à lui, elle ne l'a pas reconnu.

En outre, comment aurait-elle pu ? Elle n'a pas eu sa photo ni même son portrait-robot, son supérieur ayant ordonné qu'elle classe l'affaire. De nature clairvoyante, elle aurait tout découvert, entre autres que Grégory Jones a été assassiné. Le capitaine a donc étouffé l'affaire dans l'œuf comme il lui a été demandé de le faire. Par il, on entend bien sûr l'homme de qui il a reçu des pots-de-vin, le responsable du suicide de Sara Katarina Summers. Le Patron.

***

Parce qu'il pense toujours très fort à Sara, Grégory se retrouve devant un studio de tatou. Un qu'il connaît pour avoir couru à l'aide du proprio qui se faisait agresser, l'autre jour. Il l'a aussi aidé à ramener la motocyclette d'un ami, mais ça, c'était il y a un an.

Asal.

Après son agression, il l'a emmenée avec lui, à sa demande. Ils ont vécu ensemble pendant une semaine tout au plus, dans sa cabane, car c'est le seul endroit qu'il connaissait ─ qu'il connaît encore. S'il y a quelqu'un en qui il a confiance pour marquer sa peau, c'est bien cette fille aux cheveux gris. Quoique la pancarte affiche "close", il pousse la porte. Battante, elle se referme d'elle-même. Asal acceptera de le recevoir.

Il découvre une pièce accueillante, à température idéale. Le carrelage est noir et blanc, comme dans la plupart des salons de tatouages qu'il connaît. Le mobilier impec, constate-t-il en passant la main sur le canapé. Son regard se balade sur les modèles exposés. Chaque tatoo raconte une histoire, lui a dit Asal pendant un de ces monologues. Il est là parce qu'il désire raconter la sienne. Il sait, déjà ce qu'il inscrira et où il l'inscrira.

─ Sara, chuchote-t-il.

Il baise le bijou en or accroché à son poignet, tout ce qui lui reste d'elle. Ça, et les souvenirs. Il l'avait dans la peau, à partir d'aujourd'hui son nom y sera marqué, à jamais.

Près de lui, il y a un fracas.

─ Grégory, hésite la personne qui a laissé tomber son verre d'eau.

Le jeune homme se fige, et pour cause. Asal ne l'appellerait pas comme ça, car elle ne connaît pas son prénom. Son prénom véritable. Pour elle et pour tout le monde, il s'appelle Jones. Channing Jones. Channing comme cet acteur que Sara affectionnait. Qui donc l'a reconnu ?

─ Hanna ! s'exclame quelqu'un depuis la pièce voisine, la salle de boxe.

Hanna ? Hanna Fuller ?

Elle se tourne vers celui qui l'a appelé. Tirant avantage de cette distraction, Grégory disparaît.

─ Là, il était là, s'écrie Hanna pour la deuxième fois. Carlos, je l'ai vu. Il se tenait là, de profil, et examinait un modèle. Ce modèle ! ajoute-t-elle en haussant le ton.

─ Tu as vu qui, mon amour ?

─ Grégory. Grégory Jones. L'ex-petit ami de Sara.

─ Ce n'est pas lui aussi le responsable de son overdose ? Ma chérie, il n'y a personne. En outre, si quelqu'un avait été ici, il n'aurait pas eu le temps de se cacher. On l'aurait trouvé. Ce Grey ... John, peu m'importe, est un fugitif. À l'heure qu'il est, il doit être dans un autre pays, que dis-je, un autre continent. Il n'est sûrement pas ici.

─ Et s'il était revenu prouver son innocence, pense-t-elle à haute voix. (Elle secoue la tête pour s'ôter cette idée) C'est toi qui as raison. Grégory est un trafiquant de drogue, un meurtrier qui a profité de l'innocence de Sara. Il est tout sauf innocent. Et il est libre... Libre d'embobiner d'autres filles, à cause de moi. Je n'aurais pas dû mentir à la police en disant que je ne l'ai jamais vu. Sara nous montrait si souvent à Louane et à moi des photos de lui. Elle l'aimait. Elle l'aimait tellement. Elle lui faisait confiance, et il l'a trahie. C'est un monstre.

Derrière le rideau de velours d'une des portes-fenêtres, Grégory verse une larme. Monstre. Qu'Hanna pense ça de lui, lui fait très mal. Elle était la meilleure amie de Sara, plus que l'autre fille. Elle la considérait comme sa sœur. Par ailleurs, comment lui en vouloir ? Son casier judiciaire est lourd de tous les crimes qu'on lui a mis sur le dos.

Son désir le plus cher est d'émerger de sa cachette pour raconter ses péripéties à Hanna, mais hélas, il ne le peut pas. Pas tant qu'il n'aura pas de preuves. Des preuves concrètes. Impuissant, il regarde le garçon brun penché sur elle qui la console.  Il les soupçonne de sortir ensemble. S'il a vu juste, le jeune homme court un grave danger. Le psychopathe cherchera à l'éliminer comme avec lui. Mais il ne réussira pas là non plus, Grégory s'en fait la promesse.

Pour Sara.

Trois mois, c'est le temps dont il dispose pour que soit échue son année sabbatique. Certes, il n'a pas trouvé de nouvelles pistes, mais Grégory ne perd pas espoir. Il trouvera ce qu'il cherche, et pour cela, gardera un œil sur Hanna et Carlos. Le couple quitte la pièce, main dans la main, il les imite peu de temps après. Dans sa hâte, il ne se rend pas compte de l'objet qui tombe de sa poche.

Si son esprit n'était pas ailleurs lorsqu'il a traversé la rue, il l'aurait remarquée. Anger qui guette la sortie des tourtereaux, pistolet en main. Ils sortent enfin, Anger esquisse un sourire maléfique.

─ Enfin, tu es là.

Hanna Fuller, alias Angelica, la fille qui la destituera si elle ne fait rien.

Anger aussi était dans la limousine ce soir-là. Ils revenaient d'une fête en empruntant un raccourci. Ils passaient devant le bar quand son maître a aperçu cette garce. Anger se souvient de la jalousie féroce qui lui a étreint la poitrine quand celui-ci a baissé la vitre teintée. Ange, l'a-t-il appelée, captivée par sa beauté ; c'est de là que vient son nom de code absurde.

Il a aussi pris une photo d'elle en conversation avec le videur, peu avant que le colosse l'ait laissé entrer dans la boîte de nuit. Ce jour-là, Anger a vu et elle voit encore aujourd'hui le désir brut dans les yeux de l'homme qu'elle considère comme sien, sauf que ce désir n'est pas pour elle. Il ne l'a jamais été. Elle en souffre grandement. Les punitions ne sont rien comparées à ça.

Elle ne saurait dire combien de minutes s'étaient écroulées ; son compagnon n'avait eu d'yeux que pour l'image dans son téléphone, tandis qu'elle se mordait l'intérieur de la joue au sang. Ne pas pleurer. Ne surtout pas pleurer. Comme si ça ne suffisait pas, elle a dû assister au spectacle du beau blond implorant le pardon de cette salope, l'ange. Anger a ragé dans son cœur. Tout s'est enchainé très vite, il y a eu cette autre pute, cet imbécile en sang, et la voiture. Anger a vu le moment exact où la voiture a foncé. Le beau blond a hurlé pour l'avertir, mais il était trop tard. L'humeur jalouse d'Anger a fait place à une joie indicible. Elle a cru que cette fille ne serait plus une menace, car elle serait handicapée ou mieux, qu'elle ne survivrait pas. Mais voilà, elle est toujours vivante.

Plus pour longtemps, songe-t-elle.

Elle vise soigneusement là où son cœur bat, presse la détente.

*Rendez-vous au prochain chapitre pour la suite ;-)

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⏰ Last updated: May 05 ⏰

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HannaWhere stories live. Discover now