Chapitre XXXVIII

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Mathilde :

Tous les hommes ont quitté les villages pour donner main forte à nos troupes face aux ennemis italiens. Nos adversaires se sont avérés plus armés, et plus conquérants que prévu. Je m'inquiète pour Felipe à longueur de journée, et je sanglote dans mon lit tous les soirs quand je pense à tout ce qu'il doit subir. Et surtout, j'espère qu'il est encore vivant.

Mais, le plus effrayant, c'est ici, au sein de notre village. La peste parcourt le pays, et décime des familles entières à travers le royaume. Je suis intervenue avec le médecin sur plusieurs malades. Je me désinfecte tous les soirs, et me protège des microbes, mais ce n'est pas sans risque.

Délia, ma fille a contracté la peste. Je la soigne parmi tous les autres malades. Son état est très préoccupant. Je ressens une profonde douleur dans mon cœur. Je sais que je vais la perdre, elle est trop atteinte. Je m'accroche à l'espoir qu'elle puisse survivre. Je suis exténuée par la surcharge de travail, par les soucis, l'inquiétude et surtout l'impuissance face à la virulence de la maladie. Je vis avec la peur au ventre constamment. J'ai protégé mes deux fils en les obligeant à rester dans notre maison. Des serviteurs s'occupent d'eux. J'ai coupé tout contact avec eux pour l'instant, pour leur bien. Quand l'épidémie sera stabilisée, puis endiguée, je retournerais près d'eux.

Les jours se succèdent aussi macabres les uns et les autres. Je suis dégoutée de ne pouvoir soigner plus de personnes. Célia est à l'agonie. Je suis démunie contre le mal qui la ronge, et, j'aimerais pouvoir atténuer sa douleur avant qu'elle ne quitte ce monde. Je caresse sa petite joue, les yeux remplis de larmes. Mon enfant s'éteint devant moi, sa petite main serrée dans la mienne. Je laisse exploser mon chagrin. Je n'ai pas pu la sauver. Je me sens coupable. Je la serre contre moi, peu m'importe d'être à mon tour malade. Je la berce en la pleurant. Je n'ai pas pu la protéger. Je pleure encore et encore. Puis, je recouvre son petit corps d'un drap.

J'observe la scène de désolation devant moi. Tous ces malades à l'agonie qui ne cessent d'affluer sous la tente de fortune mise en place pour accueillir un maximum de malades. D'autres femmes du village sont venues nous aider. Chacune d'entre elles a déjà perdu un enfant, une mère, une sœur. Je baisse les bras l'espace de quelques minutes. Que pouvons-nous faire contre cette forte progression de la peste ? Autour de moi, tout le monde se bat pour sauver une vie. Je comprends à nouveau où se trouve ma place. Je me secoue, jette un dernier regard à ma fille, qu'elle repose en paix.

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Felipe :

Depuis plusieurs semaines, le combat est épuisant. Les guerriers en face de nous sont très forts. Nous résistons, mais nous épuisons. J'imagine qu'il en est de même pour eux. Un messager du roi nous a informé que la peste sévissait dans les villages et qu'elle emportait beaucoup de monde dans son sillage. J'ai peur pour ma famille. Je fais confiance à Mathilde pour protéger notre famille. Mais, sera-t-elle assez forte pour surmonter cette situation ?

Quelques blessures apparaissent sur mon corps, rien de grave. Certains de mes hommes sont bien plus blessés que moi. La terreur que nous vivons chaque jour et découvrir nos compagnons morts sur les champs de bataille me revient de plein fouet au visage tous les soirs. Qui sera la prochaine victime ? Je ne cesse de me répéter. J'ai vu mourir des amis proches devant moi. J'étais tellement en colère que j'ai tué grand nombre d'ennemis. Je me sens anéanti mentalement. Toute cette cruauté me désole. Ces champs de bataille ressemblent à des champs d'horreur. Nous sommes obligés de tuer, sinon, nous nous faisons tuer. L'amertume qui s'est installée en moi ne s'en va pas, même quand je serre le collier de Mathilde contre moi. J'ai comme l'impression d'être totalement traumatisé par les horreurs que j'ai vues, et, je ne suis pas le seul. C'est le cas pour chacun d'entre nous. Cette guerre finira-t-elle un jour ? Ma femme et mes enfants me manquent énormément. J'ai besoin de cet amour filial en ce moment. J'essuie mes larmes. Je me sens seul, effrayé et désabusé. Avec cette maladie qui sévis comment se porte ma famille ? J'ai peur pour eux, pour moi, pour mes compagnons de combat.

Je souffle toute l'air de mes poumons pour calmer ma panique. Et, je repense à tous les bons moments que nous avons vécus ensemble. Le sourire, les baisers, le corps de ma femme me manque. Je mordille ma lèvre inférieure. Ces jours heureux vont-ils revenir ? Je suppose. Mais, est-ce que tout le monde sera là pour les revivre ? Même si j'ai promis de revenir. Je comprends que mes chances de survie restent bien minces. Évidemment, je n'abandonnerais pas. Mais, je n'ai pas le pouvoir de contrôler mon destin.

Des cris de guerriers se font entendre pendant que nous dormons. Je me lève précipitamment de mon lit. Je sors de ma tente, et, je découvre le massacre de mes hommes qui se font tuer par surprise pendant leur sommeil. Je sors pour combattre les ennemis, mais je reçois un puissant coup sur la tête qui m'immobilise. Je m'écroule au sol et je m'évanouis.

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Une douleur lancinante dans ma tête me réveille. J'ouvre difficilement mes yeux, je suis nauséeux. Il fait nuit, je devine que je suis enfermé dans une tente. J'appuie avec force sur mes bras pour me redresser mais ma tête tourne. Le coup que j'ai reçu était puissant. J'imagine que l'on a essayé de me tuer mais j'ai la tête solide. C'est le silence complet. Je tends l'oreille pour essayer de percevoir un bruit. Rien, absolument rien. Je suis ligoté, ce qui me renseigne sur mon statut. Je suis un prisonnier. Je dois me sortir de cette situation, je réfléchis à un plan d'évasion.

Justement, la porte s'ouvre brusquement, me faisant sursauter. La lumière m'éblouit. Je ne peux rien voir. Je ferme les yeux et les rouvre lentement pour m'habituer à la clarté. Je découvre devant moi, un officier italien accompagnés d'autres soldats qui me dévisagent.

« - Général ! » Il me salue dans un français médiocre.

Je reste silencieux en le fixant. Je me méfie de lui et de ses hommes.

Un coup de poing vient heurter ma joue violemment, obligeant mon visage à se tourner sur la gauche. J'accuse le coup qui me fait un mal terrible.

« - Tu pourrais répondre quand on te salue ! » Il enchaine très irrité toujours en français.

Je le salue donc en baissant ma tête. Il vaut mieux être obéissant parce que je ne suis pas du tout en position de force. Ils sont quatre hommes, je suis affaibli, ligoté en plus. Je n'ai aucune chance.

Il s'accroupit pour se trouver à mon niveau. Il m'observe longuement, et un sourire sadique vient couper son visage en deux. Il est de plus en plus suspect.

« - Il est beau gosse, se serait dommage d'abîmer pareille beauté ! » Il ironise.

Les autres soldats qui l'accompagnent rient de sa blague. Je continue à le scruter en attendant sa décision par rapport à moi. Il se relève, et s'éloigne en compagnie de ses hommes, me laissant seul à nouveau dans le noir. Je réalise soudainement qu'il pourrait me tuer et que je ne pourrais plus revoir ma famille. Cette pensée m'angoisse....

Je me débats pour me débarrasser de mes liens. En vain, je n'y parviens pas. Que comptent-ils faire de moi ? Il a deviné que j'étais le plus haut gradé. Je ne peux pas finir ainsi.

Puis, j'entends des hommes se battre. J'imagine que mes complices ont décidé de venir me délivrer. J'ignore combien de temps est passé, mais, la porte de la tente s'ouvre. Je me recroqueville sur moi-même parce que je ne distingue pas s'il s'agit d'un allié ou d'un ennemi. Une lame coupe mes liens, et je suis libéré. Ce sont mes hommes. Je suis soulagé. Nous sortons ensemble. Le combat reprend. Mais quelqu'un me blesse à la jambe par derrière. Je suis déséquilibré et tombe au sol en agonisant parce que la douleur est insupportable. Il s'agit de l'homme qui est venu me narguer avec ses acolytes quand j'étais ligoté. Il sourit à nouveau, ravi de pouvoir m'achever alors que je suis blessé au sol. Mais, une épée transperce son corps au moment où il allait me tuer. Il s'écroule, et, je découvre mon fidèle ami, et second. Il vient de me sauver la vie, je ne l'oublierais jamais. Il m'aide à me relever, et nous regagnons notre camp. Une fois de retour, j'apprends que les troupes espagnoles, envoyées par mon frère pour nous aider à gagner la guerre sont arrivées et nous avons vaincu.

Devant leur défaite, les italiens voulaient m'utiliser comme otage prestigieux. D'après le récit que l'on vient de me faire, je suis resté évanoui plusieurs jours. Cette ruse a été mise en place pour nos ennemis pendant ce laps de temps.

Enfin, je suis conduit auprès du médecin de guerre pour soigner mes blessures............

Pile ou faceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant