Chapitre XXXIV

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Felipe, prince d'Espagne :

Mon père me maltraite émotionnellement parlant. Il semble agacé par la situation que j'ai traversée, notamment, ma renonciation à rentrer après la fuite de Mathilde. Il n'admet pas que je sois parti la retrouver et vivre une parfaite idylle avec elle. Il n'a manqué qu'une seule journée pour qu'il ne puisse plus nous séparer parce que nous aurions été mariés. Je suis déçu de cette fin. Et j'imagine qu'elle m'en veut énormément à présent, d'avoir choisi de suivre mon père. Je l'ai fait pour lui sauver la vie. Je suis contraint d'agir comme je ne le souhaite pas. Je suis de sang royal, je dois faire un mariage royal. J'en suis conscient. Mais, elle, je l'aime. Et cela ne changera jamais. Même si nous ne pouvons plus être ensemble, je n'oublie pas la place importante qu'elle a prise dans mon cœur. Personne ne pourra la remplacer à cet endroit.

Mais, vivre loin d'elle est pénible. Ma souffrance intérieure est aggravée par la visite de la famille royale de ma future épouse. A peine remis de cet amour tragique, je dois à nouveau prendre une femme. Les attaques verbales et les menaces que mon géniteur profère à mon encontre, m'atteignent d'autant plus.

"Quelques jours de bonheur contre une vie entière de souffrance !" Je songe amèrement.

Je soupire avec exagération. Il n'existe aucune issue de cette histoire. Je vais me marier comme le souhaite toutes les personnes qui m'entourent, donner, aussi, un héritier à la couronne d'Espagne. Tout cela sans amour !

Mes convictions ont été anéanties par la perte de la personne la plus importante dans ma vie. Je ne suis plus qu'un esclave maudit qui obéit aux exigences de son maître. Je ne suis plus moi ! Ainsi, je ne ferais pas un bon roi pour notre royaume. Je n'ai pas la même ferveur et motivation que lui. Je veux juste que l'on me laisse aimer la femme de ma vie, le reste m'importe peu.

Ma future belle famille est arrivée au château. Je dois faire semblant d'être heureux d'épouser leur fille. Nous les accueillons, ensemble avec mes proches. Le regard noir de mon père ne me quitte pas, il observe mes moindres faits et gestes. Il se méfie de mon comportement. Qu'il se rassure, je ne peux plus aimer qui que ce soit. Alors puisqu'il faut que j'épouse quelqu'un n'importe qui fera l'affaire, je suis devenu hermétique à l'amour. Plus rien ne me touchera. C'est comme si j'avais perdu tout sentiment humain. Je deviendrais ce que l'on souhaite de moi sans y mettre mon cœur. Il n'y a qu'ainsi que je survivrais à cette maltraitance affective.

Ma future épouse est devant moi. Je ne la vois même pas. Je la salue mécaniquement, et elle s'accroche à mon bras pendant que nous regagnons le salon royal pour discuter des accords matrimoniaux. Rien n'a d'importance à mes yeux, qu'ils concluent ce qu'ils souhaitent, je reste indifférent à ce mariage.

Je n'ai rien écouté, juste ma présence a suffi. La demoiselle s'accroche à moi, je souris sans intérêt. Le mariage est fixé à demain. Les préparatifs autour de moi me rendent nerveux. Ma future femme ne m'intéresse même pas. C'est ainsi que vivent les rois, sans amour mais avec le pouvoir. Je hausse les épaules en émettant un hoquet. J'accompagne ma compagne dans sa chambre. Elle tente de me séduire en me volant un baiser. Elle est très courageuse, j'esquive, et me détourne pour regagner mes quartiers. Je sens son regard dans mon dos. Elle va vite s'apercevoir que ce mariage deviendra un fardeau pour elle. Elle va regretter de m'avoir épouser parce que je ne suis plus capable d'éprouver des sentiments, la porte de mon cœur est fermée à jamais. Je vais la rendre malheureuse, mais je n'y peux rien. Je ne ferais aucun effort pour elle.

Quant à l'héritier, cela devra attendre parce que je suis incapable d'enlacer, d'embrasser et de posséder une autre femme. Je vais décevoir beaucoup de monde. Je suis un fils obéissant, mais je ne serais jamais un mari aimant. Je deviendrais un roi médiocre parce que je ne crois plus en rien. Je m'allonge sur mon lit. Demain sera une journée épuisante pour moi. Je la survolerais pour que rien ne m'atteigne. Je ne me rapprocherais jamais de cette femme qui ne me plait pas.

Je ferme les yeux. Je m'inquiète pour Mathilde. Je sais que la garde de mon père l'a ramené à la cour. J'espère que son oncle l'a acceptée, et qu'elle est en sécurité. Ne pas savoir est tellement stressant. La séparation est cruelle. Si seulement, je pouvais épouser cette femme que j'aime. Mon monde serait différent. Je progresse dans l'obscurité depuis qu'elle est partie de son côté. J'ai bien pensé à m'échapper, mais mon père me fait surveiller par ses meilleurs hommes. Il craint que je décide de rejoindre l'élue de mon cœur. Me sentir impuissant ne me convient pas.

Mon serviteur me réveille. Je suis parvenu à m'endormir au milieu de la nuit. Je me sens très fatigué. Je pose mes yeux sur mes vêtements. Je me marie aujourd'hui à mon grand désespoir. La cérémonie de mariage est sans couleur, sans attrait. Mon épouse se pavane à mon bras. Je me contiens de la repoussée devant l'assemblée. Elle est très fière. En fin de soirée, je la reconduis dans la chambre. Elle me retient à elle parce que logiquement nous devons passer la nuit ensemble. Je me détache de son emprise et dégageant ses bras qui sont noués autour de ma taille. Elle me fixe indécise. Je l'écarte totalement, et, regagne mon bureau. Ma mère l'a installée dans mes quartiers. Je n'y passerais pas ma nuit de noces, et encore moins les autres nuits. Je ne partagerais rien avec elle.

Je pose ma tête sur mes mains plaquées sur mon bureau. Je suis épuisé. Je suis à nouveau marié contre ma volonté. Je pense à Mathilde. Je souffle profondément. Je fais un grand sacrifice pour l'honneur de ma famille. Mes paupières sont lourdes, je lutte contre le sommeil.

J'ouvre mes yeux. Je me redresse. Je me suis assoupi dans cette position. Je ressens une douleur dans mon cou, je le masse pour soulager la courbature. Je me lève, et marche quelques pas dans la pièce. J'observe par la fenêtre. Le soleil est au rendez-vous. Quelqu'un frappe à ma porte. J'autorise l'entrée. Mon épouse s'impose dans mon domaine. Elle semble contrariée.

"- Vous ne m'avez pas rejoint la nuit dernière !" Elle commence de sa voix aigüe qui me dérange.

"- J'étais occupé !" Je prétexte.

"- Occupé la nuit de noces !" Elle insiste.

"- Et les autres nuits également !" Je la préviens à l'avance.

Elle serre les lèvres. Elle me fixe très en colère.

"- Notre mariage sera ainsi ! Mon père m'a forcé à vous épouser alors que j'aime une autre femme ! Je ne pourrais jamais être proche de vous !" Je décide de lui révéler la vérité sur notre mariage.

Elle retient ses larmes. Elle me déteste en ce moment. Je la fixe avec fermeté. Au moins à présent, elle est consciente que je ne l'aimerais jamais, et que je ne partagerais rien d'intime avec elle. Elle est innocente dans cet accord de mariage, mais, elle sera celle qui souffrira de ma froideur. Elle aurait dû refuser de m'épouser, et se donner une chance de faire un mariage plus heureux. Je ne l'ai jamais encouragée.

Elle quitte la pièce. Je souffle de soulagement. Elle devra accepter sa défaite. A nouveau, mon esprit s'égare vers Mathilde. Après plusieurs mois sans la voir, elle me manque toujours autant. Je retourne à ma contemplation du jardin du château. Je n'ai qu'une envie partir d'ici pour la rejoindre. Je souffle. Ne pas pouvoir la voir, la serrer contre moi est une torture. Les souverains sont des êtres sans pitié, sans cœur, assoiffés de pouvoir. Et plus rien d'autre n'existe autour. Ils sont tellement enclin à garder le pouvoir qu'ils mettent de côté le bonheur de leur enfants afin de perpétuer la couronne dans la famille. A aucun moment, mon père m'a demandé si je souhaitais devenir roi. Il agit comme si cela était une évidence.

Edouardo, mon frère, est plus comme lui. Il devrait être celui qui devient roi. J'ai toujours obéi à mon père depuis mon enfance parce que je l'admirais, et, à cette époque je voulais devenir comme lui. A mes yeux, il était un grand homme. Mais, désormais, il m'a déçu. Aujourd'hui, je veux vivre la vie que j'ai choisie. Je ne convoite pas sa place. J'ai d'autres centres d'intérêts. Je ne pourrais pas devenir comme lui. Je veux juste être heureux avec la femme que j'aime......


Pile ou faceWhere stories live. Discover now