Chapitre 30

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- Catherine -

C'était il y a un mois. C'était hier. C'était tous les jours sans interruption dans mon esprit. 

L'adrénaline qui m'avait maintenu dans un état d'alerte et m'avait empêché de penser à l'incident s'était envolé dès que les menaces qui planaient sur grand-père n'avaient plus existé.

Au début, j'avais repris le cours de ma vie normalement en pensant mettre tout ça derrière moi comme-ci rien n'était jamais arrivé. Ça avait fonctionné au début. Mon oncle m'avait prêté ses livres sur la Scandinavie et j'étais tombée sur un art de vivre venu tout droit du Danemark qui m'avait beaucoup aidé. Du moins, je le pensais. 

Mais cet état d'esprit n'a pas duré et avec lui est arrivé la morosité, les idées noires, la dépression. Oncle Kieran qui télétravaillait depuis notre maison avait rapidement commencé à s'inquiéter tant et si bien qu'il avait suggéré à ma mère de me faire voir un psy. Quand ils m'ont soumis cette idée, je l'ai refusée avec plus d'agressivité que je ne l'avais souhaité. Je voulais oublier. Même si je n'oubliais rien. Et si jamais j'avais le malheur de ne pas y penser durant toute une journée, ce qui était plutôt rare, alors les mains de Travers sur mon corps paralysé venaient me hanter dans mes cauchemars.

Finalement, Jake n'a pas tenu sa promesse de m'engager ce qui ne m'a pas vraiment étonnée, je n'y avais jamais cru. La vérité, c'est que j'en avais été soulagée. Je n'avais jamais vraiment envisagé de faire carrière à ses côtés. Travailler pour son animalerie avait plutôt été une solution de dépannage et j'étais assez contente de ce petit coup de pouce du destin. Du moins aussi contente qu'on peut l'être quand on broie du noir à longueur de temps. 

La vérité, c'est que plus rien ne m'intéressait et ne plus avoir de revenu pour aider ma mère ne m'inquiétait pas le moins du monde pour la première fois. En fait, j'avais juste envie de disparaître et le reste n'avait aucune importance. 

Sortir du lit était ma première épreuve tous les matins et c'était sans aucun doute la plus difficile. Tout ce que je faisais, je le faisais tel un robot, de façon mécanique sans même m'en rendre compte. Casser une tasse suffisait à me faire fondre en larme. Manger m'était pénible parce que plus rien n'avait de goût. La plupart du temps, je regardait les étoiles phosphorescentes collées au plafond de ma chambre, les pieds collés sur les narines de Brad Pitt, mon ancien fantasme d'adolescente. Parfois il m'arrivait de lui parler un peu comme quelqu'un qui s'adresserait à Jesus et quand je pensais à cette folle comparaison, alors enfin je riais un peu.

Pour alourdir un peu mes crises de panique, j'avais conscience d'avoir semé une certaine pagaille dans la vie de tout le monde. Je n'ignorais pas à quel point mon oncle détestait être loin trop longtemps de Londres, ma mère s'inquiétait tellement pour moi quand elle était au travail qu'elle m'inondait de textos auxquels je ne répondais jamais et grand-père avait failli aller en prison.

C'était il y a deux mois. C'était hier. C'était tout le temps. 

Le printemps avait tardé à nous gratifier de sa présence mais quand il l'a enfin fait, j'ai accepté la proposition de grand-père de m'emmener dans le Connemara quelques jours pour respirer de l'air frais. Si mon cerveau avait encore eu la force de fonctionner correctement, il lui aurait fait remarquer que je respirais tous les jours de l'air frais quand je me forçais  à sortir son chien à sa place.

J'allais passer un peu de temps avec lui chaque jour comme je l'avais promis à ma mère après le départ de mon oncle. Elle voulait que quelqu'un continue de veiller sur lui même si je savais qu'elle ne me l'avait pas demander parce qu'elle s'inquiétait pour lui. Non, je connaissais la vérité : c'était grand-père qui était chargé de garder un oeil sur moi. 

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now