Chapitre 11

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Février 1942

Ça fait deux jours que j'échappe au travail. Non pas par la grâce des gardiens, mais parce que hier matin, ou plutôt hier au milieu de la nuit à trois heures du matin, durant l'interminable appel qui n'en finissait plus de faire trembler nos jambes trop maigre pour nous supporter, le Schutzhaftlagerführer, le commandant adjoint de Koegel, est venu se mêler aux gardiens et aux policiers.

Le Schutzhaftlagerführer assiste rarement à l'appel. Il préfère profiter de son lit douillet dans sa jolie villa avec sa petite femme et sa fille. Je le sais parce qu'une fille d'un Block voisin au mien a eu l'occasion de faire des travaux de jardinages chez lui. Pas que chez lui d'ailleurs.

- Ils ont de belles maisons, bien entretenue avec du personnel, l'avais-je entendu raconter.

Le personnel est composé des plus jolies filles du camp, souvent des nouvelles arrivantes qui n'ont pas encore connu les affres de la faim, du froid et des poux. Qui ne pues pas la merde à cause de la dysenterie et qui n'ont pas l'air ridicule avec des jambes plus grosses que le reste de leur corps à cause des œdèmes qui ont commencés se former dessus.

Il s'agit souvent d'allemandes, mais quelques polonaises et hongroises non-juives arrivent à avoir ces places en or où le travail est moins dur que les travaux de terrassement ou le vidage des wagons remplis de matériel de plus en plus lourd. Même Ilona ne fait plus la fière maintenant.

Mais hier, le Schutzhaftlagerführer n'a pas profité de son lit douillet et de son petit-déjeuner pris bien au chaud devant un bon feu de bois préparé par sa prisonnière-esclave.

L'alarme nous a réveillé de son cri strident à trois heures piles. Nous n'avons pas eu droit à cette bouillie tiède qu'ils appellent café ni le temps d'utiliser les toilettes et les quelques éviers encore fonctionnelles.

Rassemblées sur la place d'appel, le comptage à commencé en même temps que la pluie et les coups se sont mis à tomber de concert. 

Une heure, deux mortes, une trentaine de femmes battues et une défigurée plus tard il a été décidé sous l'ordre du Schutzhaftlagerführer de nous faire déshabiller.

- Pour mon bon plaisir, a-t-il dit en riant à un gardien SS qui ricanait lui aussi.

La veille au soir, pour essayer de combattre le froid, je m'étais enveloppé la poitrine avec des journaux. Evidemment, je n'avais pas pris le temps de les enlever avant de sortir. Je n'étais la seule à m'emballer de journal, mais toutes celles qui étaient sorties jambes nues recouvertes de journaux avaient goûté de la cravache.

J'aurais pu l'enlever discrètement et le laisser tomber par terre l'air de rien, mais j'étais bien trop paniquée pour penser à quoi que ce soit et de toute façon je crois que le résultat aurait été le même.

J'ai été trainée en-dehors du rang par un officier et après avoir reçu plusieurs coups de poings au visage, j'ai fini par terre ou j'ai été ruée de coup-de-pied dans le ventre, le dos et sur les jambes. Le spectacle semblait beaucoup amuser ses collègues que j'entendais rire et j'ai même compris certaines de leurs remarques graveleuses quand soudain, l'un d'eux c'est approché de moi avec son chien.

Il s'est arrêté à quelques centimètres de mon visage, le chien à ses pieds. Du sang coulait dans mes yeux, mais je pouvais tout de même voir les dents du berger allemand qui me regardait avec appétence à l'idée du goût de ce liquide chaud qui rougissait le sol.

- Je crois que lui aussi il veut jouer, a dit le propriétaire du chien en parlant de celui-ci.

- Bah ! J'en ai fini avec elle, qu'il l'achève.

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now