Chapitre 5

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- Catherine -

Contrairement à grand-père, maman elle n'a eu de cesse de m'envahir de questions. C'est qu'on ne la lui fait pas à elle. Jamais.

- Ton père était plus qu'heureux de te garder un peu plus longtemps et voilà qu'il te met dans le premier avion direction l'Irlande. Vous vous êtes disputés ? C'est à cause d'Ellen !

Elle affirmait plus qu'elle ne me demandait si c'était à cause d'Ellen. En partie, oui, mais je ne pouvais pas lui répondre ça. Sinon, j'allais devoir lui expliquer toute l'histoire et ça j'en avais encore moins envie que de la soupe de poulet qu'elle venait de déposer devant moi.

- C'est moi qui avais envie de rentrer. Je n'allais pas rester là-bas ad vitam eternal.

- Je croyais que ça te faisait du bien. C'est ce que tu m'as dit sur Skype.

- J'en ai eu marre de la pluie écossaise. J'avais envie de retrouver celle d'Irlande.

Ma plaisanterie ne l'a même pas fait sourire un peu. La soirée allait être longue.

- Si ce n'est ni ton père ni sa pou..., elle s'est reprise juste à temps se souvenant qu'elle avait conclu une trêve avec Ellen, ni sa compagne, c'est Maisie ? Ou Blaine ? Tu t'es disputée avec l'un des deux ?

- Avec aucun des deux maman, ai-je soupiré.

Si seulement elle savait...

- Tu m'énerves quand tu fais ça. C'est typiquement ton père et je me serais bien passée que tu hérites de ce trait de caractère.

Elle parlait de ma capacité à intérioriser aussi bien ce qui pouvait me mettre en joie qu'en peine et à ne pas lâcher le morceau. Tout comme mon père, j'étais capable de rester stoïque afin de ne laisser transparaitre aucune émotion, ce qui avait le don de la rendre folle, elle qu'on pouvait lire comme un livre ouvert.

- Maman, j'avais juste envie de retrouver mon chez moi, mon grand-père et mon Netflix. Et j'espérais un meilleur accueil que ça, ai-je dis en pointant la soupe du doigt.

- On commande des pizzas ? a-t-elle suggéré en fronçant le nez face à sa soupe ratée.

- C'est ça ! Tu commandes un plat comestible et moi je nous choisis une série.

Septembre 1941

La quarantaine. Voilà donc pourquoi nous sommes toutes entassées ici depuis quatre jours maintenant. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. J'ai pu parler un peu avec une détenue qui était là depuis 1939. C'est une polonaise. Au début il n'y avait principalement que des allemandes et des autrichiennes puis ils ont déportés des prisonnières polonaises dont elle. Elle m'a expliqué qu'à son arrivée, la quarantaine n'avait durée qu'une journée parce qu'ils avaient besoin de main-d'œuvre pour construire plus de baraquement, que le travail était rude, que les coups pleuvaient abondamment et que les pendaisons étaient légions.

Ca fait presque trois ans qu'elle est ici et elle n'a que vingt-cinq ans. La plupart des femmes ont moins de quarante ans d'après elle, ce que j'ai du mal à croire. Elles ressemblent toutes à des vieillardes, le visage émacié, les yeux renfoncés, la peau sur les os. Des os tellement saillants que j'ai l'impression qu'ils vont traverser leur chair. 

Est-ce-là ce qui nous attend ? 

Quel genre de traitement peu conduire un humain à ne plus être que l'ombre de lui-même en quelques années ?

- Des années ! s'est-elle esclaffée quand je lui ai exprimé ma pensée. Des semaines tu veux dire.

C'est à elle que j'ai donné trois petits pains en échange de quoi écrire. « Pourquoi tu veux écrire ? » m'a-t-elle demandé. Elle n'est pas la seule à me l'avoir demandée. Elisheba, Ava la professeur de musique juive-allemande et Mahalia la jeune femme fluette à la joue striée pour avoir osé parler à l'un de nos gardien lors de notre arrivée me l'ont demandé.

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now