Chapitre 10

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- Blaine -

J'ai passé une grande partie de la nuit réveillé à tenir les cheveux de Johannna tandis qu'elle remettait ses tripes dans les WC de l'auberge de jeunesse où devaient nous rejoindre les autres.

- J'ai tellement honte, a-t-elle hoqueté en relevant sa tête de la cuvette.

- Ne t'inquiète pas, les toilettes étaient déjà tellement sales qu'ils ne verront pas la différence, ai-je essayé de plaisanter.

Elle a ri une seconde avant de grimacer et de recommencer à vomir. Il me tardait que les autres arrivent et qu'une de ses amies prenne ma place. Je commençais à sentir mon propre estomac danser dans mon ventre et même si je n'avais presque pas bu, je n'étais pas certain de ne pas bientôt la rejoindre à quatre pattes sur le sol douteux des toilettes au-dessus de laquelle une énorme araignée me regardait l'air de dire qu'elle allait bientôt appeler ses fils et ses filles pour venir nous manger.

- Elle n'est pas dangereuse, m'a dit Johannna en suivant mon regard. Ici, plus elles sont grosses et moins elles sont dangereuses. Tu devrais plutôt te méfier de la Funnel Web qui se promène sur le plafond de votre dortoir.

Je ne savais pas ce qu'était une Funnel Web, mais j'avais bien remarqué plusieurs grosses araignées biens velues et bien noires qui faisaient d'étranges toiles qui ressemblait à des tunnels.

- Peur à quel point ? lui ai-je demandé en espérant la distraire un peu.

- Elles sont mortelles.

Quand elle a eu fini de remettre, je l'ai aidé à s'allonger sur un des lits. J'ai fouillé dans mon sac à dos à la recherche des biscuits secs que j'avais achetés en ville à mon arrivée.

- Tiens, mange ça. Ça devrait te faire du bien.

Elle a pris une petite bouchée tandis que j'essuyais la sueur sur son front.

- Je vais aller te chercher de l'eau fraiche. Je vais aussi essayer de voir si quelqu'un a quelque chose contre la nausée.

Elle a hoché la tête pour me faire savoir qu'elle m'avait entendu avant de fermer les yeux pour voir si c'était elle ou la pièce qui tanguait.

05 janvier 1942

Ilona n'avait pas mentis. De nombreux trains sont arrivés, dont un le 1er janvier. Bonne année à vous chères juives polonaises. Il y a aussi eu de nombreuses françaises arrivant de Lille, des roumaines, des hollandaises, quelques tziganes, une poignée d'italiennes et d'espagnoles et une anglaise.

Je n'ai pas eu l'occasion de parler avec elle, mais j'aimerais tellement pouvoir discuter avec une compatriote dans ma langue natale.

On commençait à manquer de place dans notre dortoir, mais pendant la quarantaine de celles arrivées par les premiers trains, de mystérieuses disparitions ont eu lieues. Les plus vieilles, les plus faibles, les plus malades ont disparus en quelques jours.

Que leur a-t-on fait ? Une balle dans la tête ? Une piqûre ? Un simulacre de suicide ?

Et où sont les corps ?

Tant de questions qui me hantent. Peut-être que je serai bientôt la prochaine. Je n'arrête pas de tousser et hier j'ai craché un peu de sang. Par chance, l'Arbeitsdienstführer m'a attribué un nouveau poste. Finit les travaux de terrassements, je suis de nouveau affectée au triage des bagages.

Quand je dis par chance, c'est surtout parce que le travail est moins difficile. Plus d'énormes pierres trop lourdes pour moi à porter, plus de charrette à tirer, plus d'épandage et surtout la chance de ne pas avoir été affectée au rouleau compresseur. Il s'agit d'un énorme rouleau de ciment qui doit bien faire un mètre de diamètre voir plus et trois mètres de long. Ce rouleau pèse des tonnes et sert à tasser les fondations des routes du camp. Les femmes doivent être entre sept et neuf pour pouvoir le tirer.

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now