Chapitre 14

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Avril 1942

Vivre ou mourir. C'est facile. Pile tu vis, face tu meurs.

C'est facile de mourir. Mais je ne voulais pas mourir. Il le savait. Alors il a pris une pièce de monnaie.

Pile tu vis, face tu meurs.

C'était il y a deux jours.

Pile tu vis, face tu meurs. 

Vivre ou mourir. Je veux vivre. Je voulais vivre. Maintenant je ne suis plus aussi sûre de le vouloir. Je ne sais pas ce que va me coûter le fait que le sort m'ait été favorable.

Pile tu vis, face tu meurs.

Ca faisait des semaines qu'Elisheba allait de plus en plus mal. A sa toux est venue s'ajouter, lors d'une soirée particulièrement douce malgré le printemps qui se fait encore attendre, de la fièvre et des sueurs inhabituelles.

Je suis infirmière. Je sais ce qu'elle a. Je sais qu'elle ne s'en remettra pas. Pourtant, une petite voix dans ma tête m'a empêchée de dormir. L'appel du soir avait duré jusqu'à 23 heures, on n'avait pas reçu de nourriture, le chat de Müller ne nous avait rien apporté depuis quinze jours et je n'avais pas dormi parce que cette petite voix me disait que je me trompais peut-être.

Mon instinct lui me disait qu'il fallait à tout prix que je fasse admettre Elisheba au Revier. Ilona n'y était pas arrivée parce qu'on ne soignait pas les juives. Mais il devait bien y avoir un moyen, quelqu'un à soudoyer.

Pile tu vis, face tu meurs. Non, il n'y avait personne à soudoyer au Revier.

Le soldat qui se tenait devant moi a sortit son arme à feu et a déposé le canon sur mon front.

- Tu ne comprends pas ce qu'on te dit sale chienne ? a-t-il ricané.

Je n'ai pas répondu. Je me suis juste contentée de le regarder dans les yeux. Il était beaucoup plus grand que moi et derrière lui je pouvais voir le timide soleil qui perçait tant bien que mal l'épaisse couche de brouillard.

- On va jouer sale cochonne.

C'est devenu l'une de leur insulte préférée nous traiter de cochonne. Parce qu'on est sale et qu'on pue. Comment pourrait-il en être autrement avec des Blocks jamais laver et surpeuplés de malade, des WC qui débordent et des éviers qui ne fonctionnent plus. On n'a même plus le droit de recevoir du savon.

- Tu vois ça ? m'a demandé l'officier en sortant un reichsmark de sa poche.

Il a fait tourner la pièce devant mes yeux pendant que j'essayais de rester la plus calme possible. Il ne fallait surtout pas qu'il voit à quel point j'avais peur.

- Pile tu vis, face tu meurs.

J'ai regardé le symbole nazi du côté pile de la pièce en retenant mon souffle. Je ne pouvais plus supporter le sourire sadique de mon bourreau qui semblait éprouver du plaisir à attendre pour décider de mon sort.

Il faisait tourner la pièce entre ses doigts en riant.

- Pile tu vis, face tu meurs, a-t-il répété.

Et enfin, il a jeté la pièce en l'air. J'ai fermé les yeux pour ne pas voir de quel côté elle était tombée. J'ai attendu. Rien n'est venu.

- Obergruppenführer, ai-je entendu à la place.

J'ai rouvert les yeux et il était là, juste à côté de nous. Il était aussi grand que l'officier qui me tenait toujours en joug avec son pistolet. A ce moment-là, je pouvais tout ressentir. Alors que mes sens avaient été engourdis pendant des mois, là je pouvais sentir le froid du métal contre mon front, la douleur dans mes pieds, la légère brise qui amenait avec elle une odeur de décomposition et les premiers rayons du soleil qui venait se poser sur ma peau froide.

Entre deux océans - Tome 2Onde as histórias ganham vida. Descobre agora