- Je suis arrivée ici en 1940, a-t-elle fini par dire. J'ai directement été affectée au Revier. J'ai d'abord vu les belles salles d'opérations, celles qui ne servent qu'à Gebhardt et ses sbires.

Elle s'est arrêtée pour rassembler ses pensées. Timéa parlait un mélange d'anglais et de français dans une syntaxe qui me donnait du fil à retordre, encore plus quand elle y ajoutait de l'allemand et du roumain.

- Moi au début rien savoir des camps. Mais j'ai vite appris. Appris que pour vivre il faut se taire. Chez moi, j'étais grande docteur. J'étais fiancée à un professeur. Il m'apprenait à penser par moi-même. Ici on m'a appris qu'il ne fallait pas penser. Juste se laisser manipuler.

- C'est pour ça que tu as été arrêtée ? Parce que tu ne te laissais pas avoir par ce qu'on te racontait ? Tu étais trop... insoumise ?

J'ai jeté un coup d'œil autour de moi pour être sûr qu'on ne nous écoutait pas. 

- Non, a-t-elle dit en secouant vigoureusement la tête. J'ai fait... Comment on dit déjà... Propagande ?

- Tu véhiculais des idées ? Nazie ? ai-je demandé perplexe.

- Non ! Je voulais faire comprendre que c'était mal. Que la presse manipulait nous. Que les images qu'on montrait à nous étaient fausses.

- De la contre-propagande alors, l'ai-je corrigé.

- Oui, c'est ça, a-t-elle approuvée.

Le nez enfoui dans un abcès qui était né d'un furoncle sur la même jambe de la même patiente, elle m'a racontée qu'elle avait donné son avis à un collègue dont elle ignorait le fanatisme pour le mouvement arien et qu'elle s'était fait arrêtée sur son lieu de travail, devant un patient le lendemain.

- J'ai d'abord été dans un centre... un centre pour fou. Il voulait me rééduquer ou quelque chose comme ça. Mais comme je continuais de me battre avec mes mots, ils ont battus moi avec des matraques jusqu'à ce que moi presque morte. Après, j'arrive ici à Ravensbrück. Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, mais le Revier me sauve du désespoir. Je voyais la souffrance et la mort partout mais j'avais appris à apaiser la souffrance, à faire partir la mort.

Et c'est ce qu'elle a essayé de faire comme elle le pouvait. Chaque femmes qu'elle a pu faire sortir en vie lui a permis de ne pas baisser les bras quand elle assistait aux assassinats de toutes les autres, quand elle devait se coltiner les mêmes prétendues soignantes que nous avions encore maintenant dans les pieds. Pas plus infirmières qu'aides-soignantes, ces filles ont été choisies pour nous aider soit par les médecins SS soit par ceux qui travaillent à l'administration. Sur quels critères, ça c'est facile à deviner. 

Elles se permettent d'émettre des diagnostiques erronés qui se concluent souvent par une crise d'appendicite car elles n'ont aucunes connaissances médicales. La plupart sont des polonaises qui essayent de se faire bien voir de nos gardiennes voir même de la Kommandantur (l'administration). L'une d'entre elle, Nadejda, est toujours en première ligne lors de la sélection de la semaine pour administrer l'injection qui laissera agoniser les quatre ou cinq femmes sur le sol des toilettes. Elles mettent parfois plus d'une heure à mourir et leurs cris me hantent pour le reste de la semaine. Une fois morte, elles sont déshabillées avant que la « colonne des mortes » ne les emmènent pour les jeter dans une fosse commune.

- Ce n'était pas facile de faire sortir les plus malades, mais j'ai su soigner petites blessures, a-t-elle continué en me montrant l'abcès qu'elle était en train de drainer d'un signe de tête. Le manque de nourriture n'a pas été facile. Comme elles sont malades, elles ont pas besoin de manger d'après eux.

Entre deux océans - Tome 2जहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें