Il m'arrivait parfois de me demander si elle m'avait complètement enterré ou si elle acceptait de parler de moi. Si elle avait pu se confier à sa mère, à son grand-père. Je sais que Colin avait interdit à ma vicieuse de mère de contacter celle de Catherine et Maisie était assez sûre qu'il ne l'avait pas fait non plus. 

Son grand-père n'avait pas l'air très ouvert d'esprit, très moderne. Mais j'étais certain qu'elle lui avait parlé de moi. Je l'imaginais avoir une réaction de vieux papy protecteur menaçant de me trucider à la prochaine réunion familiale. Sauf qu'il n'y aurait probablement jamais de réunion familiale. Ça n'avait aucune importance pour moi du moment qu'il y en ai une un jour avec elle. 

- Tu viens avec moi voir un cheval au ranch des Foster ?

La question d'Eddy m'a fait sursauter. Ça faisait un moment que j'avais arrêté de travailler, plongé dans l'abîme de mes pensées sous le cagnard. 

- Tu seras plus utiles qu'en tenant bêtement ta pelle tout en observant le lointain. En plus tu as oublié ton chapeau, tu vas mourir d'une insolation avant la fin de la journée. 

Eddy avait la réputation d'être quelqu'un de dur mais juste. J'aimais bien travailler avec lui. Tout le monde m'avait prévenu : il avait un don. Et c'était vrai. Je l'avais vu chuchoter aux chevaux. Pas forcément à leur oreille mais son don était évident. J'avais un peu travaillé avec lui auprès d'une pouliche peu commode et il m'avait dit un soir de pleine lune durant lequel nous buvions des bières pas chères que moi aussi j'avais le don. J'en aurais pleuré d'émotion. Mais j'étais saoul donc ça ne compte pas. Depuis, trois jours par semaine, je ne travaillais qu'avec lui et les chevaux.

On a embarqué dans le vieux 4x4 de Danny qui sentait la mort depuis qu'un backpacker avait oublié son sandwich au jambon il y a quinze jours. On a mis des heures à trouver d'où venait l'infâme odeur et depuis elle refusait de quitter l'habitacle. 

- Mark Foster veut nous vendre un étalon pour les saillies. C'est un vieux roublard alors ne te laisse pas avoir par ses paroles mielleuses, m'a-t-il dit sur la route.

Eddy était un psychologue doublé d'un philosophe. En tout cas c'est ce qu'il prétendait mais il n'avait rien d'un Bouddha. Mis en confiance par son honnêteté et sa discrétion sans faille, je n'avais pas mis bien longtemps à lui parler de « La Grande Affaire ». Ca l'avait fait hurler de rire.

- Vous autres les écossais vous faites une montagne d'une colline, avait-il dit entre deux éclats de rire.

Pour lui, toute cette histoire était absurde et la réaction de ma mère totalement à côté de la plaque. Colin lui n'était qu'un pleutre qui méritait bien d'être le toutou de ma mère puisqu'il n'avait pas le courage d'exprimer ses opinions. Oui, Eddy était vraiment un philosophe. 

- Si vous n'êtes pas du même sang, ce n'est pas ta sœur. C'est aussi simple que ça. Et puisque ce n'est pas ta sœur, tu peux faire ce que tu veux.

- C'est ce qu'on pensait aussi mais je ne sais pas si Catherine aurait supporté le regard des autres une fois que ma mère aurait fait éclater ce scandal au grand jour. C'est une fille un peu sensible.

- Si elle t'aimait vraiment elle se serait battu pour vous. Sinon, c'est que cette histoire était vouée à l'échec dès le début et qu'elle ne te méritait pas. 

J'ai médité ses paroles. En vrai, je crois bien qu'elle était prête à se battre pour nous mais pas toute seule. En fait, je ne croyais pas, je savais. Elle n'était pas une lâche mais nous avons été dépassés par les évènements. Après des années à nous adresser la parole juste pour demander à l'autre de lui passer le sel, nous nous étions avoués des sentiments communs qui couvaient depuis des années. Ils avaient bouillonnés en nous pendant si longtemps malgré nos efforts pour les enfouir le plus profondément possible que lorsque nous nous sommes décidés à vivre l'histoire qui devait être la notre, ils se sont transformés en une véritable éruption volcanique. 

Entre deux océans - Tome 2Onde histórias criam vida. Descubra agora