Non, pas comme ça, ai-je pensé. Je ne veux pas mourir déchiquetée par un de leur sale cabot. Je ne veux pas sentir ses crocs s'enfoncer dans ma peau et l'entendre l'arracher. Je ne veux pas souffrir plus encore que je ne souffre déjà. Pitié, mettez-moi une balle dans la tête qu'on en finisse.

J'ai fermé les yeux dans l'attente. J'ai attendu. Mais rien n'est venu.

- Obersturmbannführer, ai-je entendu à la place.

J'ai vu les deux officiers allemands se mettre au garde-à-vous et échanger des paroles que je n'ai pas comprises. Mes oreilles bourdonnaient et ma tête résonnait encore des rires moqueurs des SS. Devant mes yeux persistaient l'image du chien prêt à me dévorer même s'il n'était plus près de moi.

J'ai été remise debout sans ménagement pour me retrouver face à l'Obersturmbannführer. C'était lui. L'officier qui avait empêché qu'on me coupe mes cheveux lors de mon arrivée. 

Je sentais mes jambes qui risquaient de se dérober à tout moment sous moi et l'effort que je fis pour rester debout face à lui fut surhumain. 

Il m'a regardé longuement avant de prendre mon menton entre ses doigts pour tourner ma tête sur le côté.

- Je reconnaitrais ses yeux entre mille. Quel gâchis, une si belle petite chose, a-t-il rajouté en me regardant de haut en bas.

Il a lâché mon visage tout en continuant de m'observer. J'ai frissonné sous ses yeux bleus car l'espace d'un instant, j'ai cru qu'il pouvait sonder mon âme. 

- Tu as les yeux les plus magnifiques que je n'ai jamais vu, a-t-il rajouté avant de tourner les talons.

Savait-il que je pouvais le comprendre lorsqu'il parlait? Non, je ne le crois pas, mais toujours est-il qu'il m'a sauvé la vie.

Il a ordonné qu'on me ramène à mon Block où l'une des deux Blockowas allait devoir panser mes blessures sous peine de punition. Bien sûr, aucunes fournitures n'a été fournies dans ce sens. Comme je pouvais à peine marcher j'ai été trainée plus que portée par l'Aufseherin Carla qui n'a pas manquée de me faire tomber dans chaque flaque de boue qu'elle voyait sous prétexte que j'étais trop lourde à soutenir.

Mais au moins j'ai échappé à une nouvelle journée de travail dans le froid et la neige. J'ai échappé à l'appel du soir et j'ai même eu le luxe de pouvoir faire sécher mes vêtements même si j'ai finalement dû les remettre encore un peu humides sur moi.

Je souffre peut-être le martyre, mon corps est peut-être recouvert d'ecchymoses et j'ai peut-être du mal à ouvrir mon œil droit, mais j'ai gagné deux jours de repos. Trois avec celui de demain. L'Obersturmbannführer m'en a accordé trois.

- Il n'est plus Obersturmbannführer, m'a dit la Blockowa qui a aussi été dispensé de travail pour s'occuper de moi. Il a été nommé Obergruppenführer pour les services qu'il a rendus les derniers mois où il était absent du camp. C'est un très haut grade qui impose le respect à ses pairs.

- Il a l'air jeune pour déjà être aussi bien gradé non ?

- C'est toujours plus facile quand on est le filleul de quelqu'un d'important.

- Comment tu sais tout ça ? ai-je demandé en essayant d'oublier la douleur lancinante qui parcourait mon dos à chaque fois qu'elle y déposait son chiffon sale et mouillé.

- J'ai travaillé dans les bureaux avant d'être renvoyée dans ce trou.

Je crois qu'avoir été dispensée de sortir sous la pluie et la neige grâce à mon infortune a rendu Yéléna moins hostile à mon égard. Elle ne se montre plus austère quand nous ne sommes que toutes les deux depuis l'incident.

Entre deux océans - Tome 2Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora