Alors oui, trier les valises des déportées est une chance. J'ai été étonnée de trouver plusieurs valises d'homme mais Ilona m'a dit que c'était normal, qu'un camp annexe les recevait depuis avril.

Ilona met maintenant un point d'honneur à ne me parler qu'en allemand. J'ai acquis d'assez bonnes bases pour comprendre des phrases simples et y répondre et suffisamment de coups pour retenir des mots tels que « schnell », « au ab », « los, los » ou le redouté « selektion ».

Le second avantage était que nous n'avions plus besoin d'être nue pour trier les valises. Il faisait très froid, le gèle et la neige parfois accompagnés du vent nous auraient fait mourir dans la seconde. Je portais toujours le pull qu'Elisheba m'avait donné et sous ma robe rayée un autre pull plus fin que j'avais subtilisé tandis que celles qui nous gardaient ce jour-là s'insultaient copieusement pour une broutille dont je n'ai rien compris.

L'idée a alors germée. Une idée qu'Ilona et sa nouvelle petite protégée, Vania une polonaise de seize ans à peine qui ressemble à un petit ange, ont trouvée excellente.

L'une de nous fait le guet pour s'assurer que nous ne sommes pas surveillées tandis que les deux autres enfilent à la hâte sous leur robe tout ce qu'elles peuvent. Pulls, foulards, chaussettes. J'essaye aussi de cacher autant de médicament que possible dans la toile de jute qui me sert de culotte.

Nous essayons de ramener quelque chose tous les jours. Ce que mes compagnes ne veulent pas, je le négocie au prix fort. Ainsi j'échange des bas en laine contre des rations de pains supplémentaire, un foulard contre un pull épais, un pull contre un bol de soupe et des médicaments contre du chocolat. Ce sont les prisonnières allemandes qui une fois sur cinq arrive à avoir leur colis intact et qui m'échange le chocolat contre tout ce qui peut être médicalement utile. Elles le revendent ensuite en échange de cigarettes.

Nous n'avons pas encore trouvé de cigarettes, mais Ilona et moi savons que ce sera le jackpot quand nous tomberons dessus.

Si Josianne et Ava ferment les yeux sur mon petit commerce et qu'Elisheba se dit fière de moi, Hosanna et sa fille ont plus de scrupules. Elles ont cependant arrêté de me faire la morale quand je leur ai fait remarquer qu'elles ne se gênaient pas pour profiter des rations supplémentaires que pouvait rapporter mes manigances.

- Tu es stupide, m'a dit Ilona quand j'ai récupéré un pull en laine pour Josianne. Ici y a pas d'amis. Tu dois tout garder pour toi sinon tu vas crever.

Elle a peut-être raison, mais si j'ai pu constater qu'elle disait vrai dans la plupart des cas, nous nous sommes toujours entraidées sans nous faire de coups fourrés. En plus, le pull que je venais de trouver avait la taille d'un ours et il fallait bien ça pour Josianne même si elle aussi avait fondu comme neige au soleil.

Ce risque que nous prenons pourrait nous coûter la vie. On est systématiquement fouillée avant notre sortie du camp, par contre les fouilles du retour sont aléatoires mais ont lieu deux fois. Une fois après le travail et une deuxième fois au camp. Jusqu'à présent ni Ilona  ni moi n'avons été fouillées, mais c'est arrivée une fois à Vania qui par chance n'avait rien volé ce jour-là.

Nous ne sommes évidemment pas les seules à le faire et nous avons pu constater de nos yeux le sort réservé à celles qui se faisaient prendre. Une pendaison. Les médecins se contentent de noter « mort de problème respiratoire » sur l'acte de décès.

- Qu'est-ce que tu fais ?! ai-je hurlé en lui arrachant le journal des mains.

- Excuse-moi, je...

- Tu touchais à ce qui ne t'appartiens pas !

Entre deux océans - Tome 2Where stories live. Discover now