Chapitre 18: La belle et la bête

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— Comment ça et moi ? Demande Léto les sourcils levés.

— Es-tu malade ? Vu que ton mari aimait les hommes vous n'avez pas...

— Même si mon mari m'aimait différemment nous étions proches. Puis nous voulions des enfants donc...

— C'est pour ça que tu ne touches personne ?

— Oui par précaution. Je ne pense pas qu'un simple contact soit suffisant, car avant de savoir j'ai touché ma mère, lui ai fait des câlins et elle va bien. Mais mieux vaut être prudent.

       Je comprends mieux pourquoi elle m'a choisi comme mari. Un homme devenu un monstre que personne ne voudrait toucher. Avec moi, pas de risque, pas de tentation, même se tenir près de moi doit être un supplice.

       Les villageois me le répètent sans cesse, je suis un monstre, si Léto m'a comme mari c'est à cause d'un pacte qu'elle aurait scellé avec des démons. Voilà ce que je suis pour eux, un résidu humain démoniaque. Je suis une punition pour elle aux yeux de tous.

       Je ne sais pas en combien de temps se développent les premiers symptômes, je ne sais même pas depuis quand Léto est-elle veuve. Combien de temps va-t-il lui falloir attendre avant de savoir que sa vie n'est pas en danger ? Avant de pouvoir s'autoriser à toucher quelqu'un à nouveau ? Avant de pouvoir aimer une personne et de jouir de cette relation ? Des semaines ? Des mois ? Des années ?

       J'aimerais questionner Léto mais parler de son mari semble déjà l'avoir assez ébranlée, je ne veux pas faire preuve de curiosité malsaine car après tout, cela ne me concerne en rien, jamais je ne la toucherai. Je change donc de conversation.

— Les gens du village ont parlé de ton procès, tu penses que cela est vrai ? Risques-tu vraiment le bûcher ?

— Cela fait longtemps qu'ils en parlent mais il ne se passe rien pour le moment. Ils doivent manquer de preuves. Et plus le temps passe, plus les preuves s'effacent.

       Je ressens du soulagement lorsque j'entends ces mots. Moi qui voulais l'emmener aux enfers avec moi j'ai maintenant de la compassion pour elle. Je n'avais jamais pensé que l'on pourrait tuer par amour. Pour moi, cela était toujours un acte violent ne l'ayant connu qu'en temps de guerre. Je n'ai jamais vu de mort paisible, dans un lit confortable entouré de ceux qu'on aime. Moi je n'ai vu que des bains de sang, des cris de douleurs et des derniers souffles brûlant comme le vent du désert.

       Oui ce qu'à fait Léto est illégale mais cela signifie-t-il pour autant que c'est mal ? Après avoir entendu son histoire je pense qu'elle a pris la bonne décision. Pourquoi souffrir quand l'issue est fatale ? Je comprends et respecte le choix de son mari. Avancer la mort pour éviter des douleurs est compréhensible. Même si cela va à l'encontre de la nature, cette dernière peut se montrer parfois si cruelle que l'humain doit réparer ses erreurs. Et Léto n'a fait que l'aider.

       J'avais moi-même toujours une fiole de poison sur moi à boire au cas où je tomberais entre les mains de mon ennemi car je préférai mourir que de devenir prisonnier. Je ne peux donc que compatir avec la situation du mari de Léto qui aurait été prisonnier de son propre corps. Je n'ai jamais considéré la personne qui prépare mes poisons et mes antidotes comme une personne dangereuse car elle ne faisait que suivre mes instructions et mes besoins. Donc pourquoi Léto serait différente ? Elle a juste respecté les souhaits de son mari et est restée à ses côtés jusqu'à la fin.

       Non je ne veux plus que Léto meurt au bûcher, je ne veux plus qu'on l'insulte alors qu'elle fait le bien autour d'elle. Elle tue certes, mais toujours elle soulage.

       Ce n'est pas une sorcière, mais une femme intelligente qui sait quoi faire face au désespoir. Immédiatement mon image d'elle change elle n'est plus cette tueuse en série, elle devient cet ange salvateur. Elle n'est plus agaçante, elle est sûre d'elle. Elle n'est plus têtue comme Grigri, elle sait juste ce qui est bon de faire et n'a pas peur de le faire savoir.

       Et soudain, une aura se dégage d'elle, elle devient plus lumineuse malgré la tristesse dans son regard vide des étoiles qui l'illumine d'ordinaire, éteintes à l'évocation de la mort de son mari adoré.

— Allez viens, lui proposai-je alors. Installe-toi ici, il est l'heure de manger.

— Manger ?

— Oui, manger, je peux entendre ton ventre gargouiller d'ici, tu dois être affamée.

J'essaye de détendre l'ambiance pour calmer la tristesse de Léto mais elle décide de continuer notre conversation.

— Tu vas rester ? Tu vas rester avec moi ?

Je réalise d'un mouvement de tête pour répondre à l'affirmative, un sourire aux lèvres pour tenter de la détendre. Mais cela est encore un échec, impossible pour Léto de se défaire de son angoisse.

— Mais tu n'as pas peur ?

— Peur de quoi ? Dis-je d'une voix douce.

— Peur de vivre seul avec une tueuse qui t'a tout avoué ? Peur de vivre avec une empoisonneuse ? Peur de vivre avec une sorcière ?

— Tu n'es rien de tout ça. Et toi ?

— Et moi ? Que veux-tu dire par là ? Tu n'es pas un sorcier tu ne sais même pas différencier un coquelicot d'un tournesol.

Le rire de Léto est timide car il est faux. Elle essaye de cacher sa gêne derrière l'humour, de cacher que tous les surnoms qu'on lui affuble la blessent.

— Et toi tu n'as pas peur de vivre seule avec un monstre ? Un ancien homme qui a laissé place à une créature hideuse ?

— Kha pourquoi parles-tu de toi comme ça ? Tu n'es pas un monstre. Tu n'es pas une créature hideuse. Tu sais je te connaissais bien avant notre rencontre, je t'avais même déjà vu je savais comme tu étais beau. Certes aujourd'hui ton physique est différent mais cela n'enlève en rien à ta beauté. Tu es très beau, l'un des plus beaux hommes que j'ai vu.

— Avec toutes ces brûlures ? Impossible.

Léto me ment, je le sais, elle essaye juste d'être gentille avec le pauvre animal que je suis car oui, Léto est gentille, du plus profond de son cœur même si elle le cache à la perfection.

— Les cicatrices ne sont rien, ce ne sont pas elles qui définissent la beauté d'une personne. Tu es beau avec, ou sans. Cela ne change rien.

       Oh oui, que Léto peut-être gentille. Mais cette fois-ci je ne pense pas qu'elle mente, elle dit la vérité. Elle fait partie de ces personnes qui disent que le physique ne fait pas la beauté. Et contre toute attente elle semble être la seule à le dire mais à surtout le penser.
Léto me trouve beau et je pense que ça sera la seule dans ce monde qui en sera capable.

       Et moi aussi je dois avouer que maintenant que je le connais, je la trouve si belle maintenant entourée de cette aura de douceur.

Kha: L'amour impossibleWhere stories live. Discover now