Chapitre 4: Kha

151 18 5
                                    

C'est donc elle, l'empoisonneuse. Elle est beaucoup moins terrifiante que ce que son surnom pourrait nous laisser croire. Elle ressemble à une petite biche curieuse avec ses grands yeux ronds et son élégant port de tête. Elle passe alors ses cheveux noirs derrière ses oreilles, penche la tête sur le côté et s'approche encore plus de moi pour m'observer de toute son attention.

Son visage s'illumine grâce à son sourire éclatant, je pourrais presque penser qu'elle est contente de me voir, comme si elle retrouvait un vieil ami.

— Hey, salut. Bienvenue parmi nous.

Son ton est familier, je ne suis pas coutumier des bonnes convenances mais cela reste tout de même étonnant. Elle sait que je suis empereur donc pourquoi tant de relâchement en ma présence ?
Ah oui, j'oubliais. Je ne suis plus personne à présent.

Je reconnais sans aucune peine la mère de Léto, Rhéa, car elle est la copie conforme de sa fille. Elle est tout aussi grande, élancée et gracile. Je me demande comment deux femmes aussi fluettes ont pu porter un homme comme moi, grand et lourd. Comme quoi, il faut toujours se méfier des apparences.

Et quant à la vieille Zabelle, elle n'est pas si vieille que cela, enfin du moins n'en a pas l'air. Elle a su me ramener à la vie, il ne serait pas étonnant qu'elle sache arrêter les effets du temps après tout. Elle a certes les cheveux gris, mais son visage ne présente pas le moindre signe des années, comme si elles avaient glissé sur elle sans ne jamais l'atteindre. Et en la voyant je comprends pourquoi j'ai eu la sensation d'être porté plus facilement quand elle était là, son corps est musclé et puissant, je ne serais même pas étonné qu'elle ait pu le porter toute seule, elle est si impressionnante.

— Il va falloir que vous lui trouviez un nouveau nom si vous voulez le cacher convenablement. Vous ne pouvez pas utiliser l'ancien, même si son corps est presque entièrement brûlé, son visage ne l'est qu'à moitié, il est donc encore identifiable. Il n'était pas un inconnu mais un empereur, si vous ne brouillez pas un peu les pistes ça sera un jeu d'enfant pour le retrouver. Et vu son état je me doute qu'il n'a pas que des amis, s'ils découvrent qu'il est vivant ils le chercheront et votre plan ne sera plus qu'un doux rêve, conseille la sage Zabelle.

— Hum un nouveau prénom... Ce n'est pas facile, réfléchi Léto. Une idée Madame Zabelle ?

— Il faut quelque chose auquel il se reconnaîtra avec aisance, donc proche de son vrai prénom.

— Mais comment faire identique en étant différent ?

— Choisissez des sons similaires Dame Léto. Assez proche pour qu'il se reconnaisse mais assez éloignées pour que ses ennemies ne voient pas de ressemblance.

Un silence s'ensuit, le temps pour Léto de réviser tout son alphabet, toutes les consonnes et toutes les voyelles que comprend sa langue maternelle. J'aimerais donner mon avis, mais je ne me sens pas encore assez en forme pour ouvrir la bouche. La vieille Zabelle est peut-être une sorcière mais elle ne fait pas encore de miracle.

— Ka.

Léto crie comme si elle avait fait la découverte du siècle. Pourtant cela sonne comme une évidence pour moi, il n'y avait pas d'autre choix pour que je réagisse rapidement à ce nouveau « prénom ». Maintenant prions pour qu'il ne soit pas trop compréhensible pour ceux qui auraient envie d'achever leur travail. Comme l'a dit Zabelle, facile à comprendre pour moi, difficile pour tous les autres.

— Très bien, donc à partir d'aujourd'hui mettons-nous d'accord pour l'appeler Ka. Précise Zabelle.

— K.a.h, Kah avec un « h » surenchéri Léto. Ou bien K.h.a ? Je ne sais pas où mettre cette fichue lettre...

Léto se gratte alors le menton et fronce les sourcils. Cette mission était simple mais elle arrive à la compliquer.

— Jeune demoiselle, vous avez conscience que cela ne change rien du tout à la prononciation et que cette lettre est inutile ? S'agace Zabelle.

— Un « h » rend le mot plus joli et cela n'est pas inutile.

Léto répond avec fermeté et conviction, son pied frappant le sol avec vigueur. Je ne me doutais pas que l'orthographe d'un faux prénom serait si importante et prendrait autant de place dans la conversation.

— Très bien, très bien... Mais dépêchez-vous Léto.

— Moi j'aime bien K.H.A, dit Rhéa d'une voix timide en levant le doigt comme une élève qui demande la permission de s'exprimer.

— Tu es une reine maman, tu as raison comme toujours. Ça sera donc Kha. Avec le H au milieu pour être plus beau.

Et voici la seule chose qui sera jolie chez moi, ce fameux H qui a demandé tant de réflexions. Et voilà, cette conversation qui me concerne vient de prendre fin sans que je n'aie eu mon mot à dire. Ma nouvelle vie commence maintenant, je ne suis plus empereur, je ne suis plus impressionnant, je ne suis plus conquérant, je ne suis plus que Kha, la moitié de l'homme que j'étais auparavant, aussi inutile que le H de mon prénom.

Kha sera maintenant celui qui fera partie de leur plan mystérieux. J'aimerais en apprendre plus sur ce dernier mais mes paupières redeviennent lourdes, la potion de la vieille Zabelle a déjà terminé son effet. Je lutte pour ne pas m'endormir, ce que constate la sorcière qui s'approche alors de mot et s'agenouille à côté du lit pour que nos deux visages soient à la même hauteur.

— Vous pouvez dormir Kha, cela fait partie de la guérison, vous en avez besoin. Reposez-vous.

Au vu de son surnom je ne devrais peut-être pas lui faire confiance. Mais au vu de la qualité de sa potion j'ose m'y autoriser. Si elle avait voulu me tuer elle l'aurait déjà fait. Ou plutôt elle n'aurait rien fait. Et que peut-il m'arriver d'autre, qu'elle me transforme en crapaud ou bien en chauve-souris ? Vu mon état, je ne suis pas sûre que cela soit une mauvaise idée. Je préférerais encore être un amphibien qu'un demi-homme comme maintenant. Et soyons honnête, dans mon état, même mourir ne serait pas si terrible à vivre. Je m'autorise donc à m'endormir comme me l'a conseillé Zabelle.

Et au cours de mon repos, j'alterne entre les phases de sommeil profond ainsi que les courtes périodes d'éveil. Elles sont si rapides que cela n'attire même pas l'attention de mes trois gardiennes pour malade qui s'affairent autour de la cheminée pour maintenir le feu et préparer ce qui ressemble, à l'odeur, à une appétissante soupe de carottes.

Mais lors d'un énième de mes réveils, le calme est revenu et les trois femmes discutent autour de la table.

— C'est donc cela votre plan mesdames ? C'est audacieux mais... Faites-moi confiance, je vous comprends donc je ferai tout mon possible pour vous aider.

Mais pourquoi je me réveille quelques secondes trop tard ? J'aurai au moins pu en savoir plus sur cette stratégie secrète que moi seul ignore dans cette petite maison. Cependant Zabelle n'a pas encore terminé sa phrase.

— Mais quelque chose m'inquiète...

— Qu'il meut ? Ne vous en faites pas, on sait que vous aurez tout ce qui était en votre pouvoir, enfin en vos pouvoirs, nous ne vous en voudrions pas. Ce n'est pas très grave au fond.

Léto traite de ma mort avec un peu trop de légèreté à mon goût mais je la comprend cependant, même moi il y a quelques heures je me disais que mourir ne serait pas aussi tragique que cela en a l'air.

— Non, Dame Léto pas ça. Ce qui m'inquiète c'est que si jamais votre manigance venait à être découverte vos vies seraient en danger. La sienne bien sûr, dit Zabelle en me pointant du doigt sans prendre la peine de me regarder, mais surtout la vôtre.

Kha: L'amour impossibleDonde viven las historias. Descúbrelo ahora