Chapitre 8: Les monstres

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Je suis de retour dans cette petite calèche bancale et cette fois-ci je ne suis pas caché sous un drap mais exposé à la vue de tous derrière mon masque. J'ai bien compris que l'objectif était maintenant que tout le monde me voit en compagnie de Léto.

La pauvre Gri-gri n'est plus toute jeune, je décide donc de descendre pour la soulager lorsque nous entrons enfin dans le village. Les premiers à remarquer notre arrivée sont les enfants qui jouaient dans la rue et qui maintenant courent et crient pour appeler leurs mères afin qu'elles puissent assister au spectacle.

Elles essayent du mieux qu'elles peuvent d'être plus discrètes que leurs enfants et font alors semblant d'avoir une course à faire, un trottoir à nettoyer ou un linge à sécher. Mais je ne suis pas dupe, je sais très bien qu'elles sont sorties pour voir l'événement de l'année, Léto avec un homme.

Mais il ne semble pas que ce soit cela qui les perturbe le plus, non, c'est bien mon physique qui les interpelle.
— C'est quoi sur son visage ? Pourquoi il porte ça ? Tu penses que c'est parce qu'il est connu ? Léto aurait-elle pu trouver un aussi beau parti ?

— Ne dis donc pas de bêtise espèce d'idiote, nous savons tous que c'est impossible. Même s'il était un beau parti il devrait être fou pour épouser Léto. D'ailleurs tout homme serait cinglé de l'accepter comme épouse.

En plus d'être hideux je suis donc visiblement stupide.

— Non ça doit être autre chose, réfléchissons mesdames...

— Hey les filles, regardez son bras.

Je comprends alors qu'à cause de la chaleur j'ai remonté mes manches et exposé à la vue de tous mes affreuses cicatrices. Je tire donc au maximum mon chandail. Même si cela implique de mourir sous cette chaleur, je préfère cela plutôt qu'être jugé pour ma monstruosité. Cependant, malgré mes efforts, je crains qu'il ne soit déjà trop tard. La vérité va alors aussi vite qu'un vent d'ouragan et se propage au cœur de la foule.

— Vous avez vu ? Qu'est-ce que c'était ?

— Je ne sais pas, c'était horrible. Tu avais déjà vu ça sur quelqu'un ?

— Non jamais.

— Peut-être que ce n'est pas un être humain ? Dans ce cas je comprendrais mieux pourquoi il a accepté d'épouser l'empoisonneuse. Car seul un animal pourrait être d'accord.

S'en suivent alors des rires glaçants et terrifiants de celles qui sont tout aussi monstrueuses que moi mais qui ne cherchent même pas à se cacher. Ces sarcasmes sont insultants pour moi bien sûr, mais pas seulement. Je regarde alors Léto pour vérifier si elle va bien, m'attendant à la voir en pleurs, effondrée ou au moins attristé. Mais à cet instant j'apprends alors qu'il n'est pas nécessaire que je m'inquiète pour elle. Elle garde la tête haute et sourit à sa mère, comme si de rien n'était.

Soit elle devrait être actrice, soit je devrais prendre exemple sur elle, elle qui ne porte aucune attention à ce que l'on peut dire sur sa personne, elle que l'on traite d'empoisonneuse mais qui continue de sourire, elle qui ne se cache pas, elle qui affronte les difficultés la tête haute. Mais j'en suis encore loin, je vérifie donc que mon masque est toujours à sa place.

Le silence s'approche de nous à mesure que nous nous éloignons du village. J'aperçois alors au loin, une petite maison, une toute petite maison différente des autres car elle n'est faite que de bois et semble avoir été construite par une seule personne. Mon regard est fixé sur cette minuscule demeure mais je suis alors sorti de mes pensées.

— Kha, tu n'as rien oublié c'est bon ? Résonne alors la voix de Léto.

— Non, ne t'inquiète pas. Dis-je alors toujours concentré sur la maison.

— Kha revient avec nous s'il te plaît. Peux-tu me répéter tout ce que nous avons préparé comme explication ?

Je reviens alors sur terre, toute mon attention se tourne vers mon mensonge et je récite le dialogue que j'ai tant préparé.

— J'étais un employé de vignes, les mêmes que celles où tu as travaillé le mois passé pour subvenir aux besoins de la famille en l'absence de ton père. Et j'ai alors eu le coup de foudre.

— Et pourquoi as-tu eu ce coup de foudre pour moi ? Demande Léto d'une voix innocente.

Je retiens un petit rire, lève les yeux au ciel et réponds ce qu'espère entendre Léto.

— Car tu es « la plus belle femme qui existe ».

— Ne le dis pas sur ce ton, on pourrait croire que tu ne le penses pas.

— Parce-que c'est le cas.

— Hey, crie Léto

Elle me lance alors un objet invisible que je fais semblant d'éviter, afin de rentrer dans son jeu. Je sais qu'elle ne se vexera pas à cause de cette remarque, non seulement car elle a assez d'humour mais aussi parce qu'elle a assez confiance en elle pour se comporter comme l'une des plus belles femmes qui existe, même si nous savons, elle inclut, que cela n'est pas tout à fait le cas.

J'ai déjà rencontré des femmes plus belles qu'elle, une en particulier, mais c'est cette assurance qui fait tout le charme de Léto, elle n'a donc pas besoin de l'être plus que les autres, elle a juste besoin d'y croire pour attirer qui elle souhaite.

— Et pourquoi nous sommes nous mariés aussi rapidement ? À part mon physique irrésistible bien évidemment.

— Car je voulais soulager ton père de son rôle, une femme ne se doit d'être un fardeau que pour son mari.

— Parfait.

Un silence s'installe un long instant avant que je ne poursuive.

— Tu souhaites vraiment que je dise une phrase aussi horrible ?

— Bien sûr que non, mais mon père, lui, le voudra donc répète bien ce que je t'ai dit. Compris ?

Léto ne semble pas se formaliser plus que ça des paroles que je dois prononcer, elle doit avoir l'habitude je suppose.

— Oui dame Léto, dis-je d'un air faussement royal pour détendre l'atmosphère de plus en plus pesante à l'approche de la maison.

— Les enfants, finissez vos bavardages maintenant, nous somme bientôt arrivés.

Et voilà, dans quelques heures le père de Léto sera rentré et la dernière phase de ma vie aura commencé.

Kha: L'amour impossibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant