Chapitre 15 : empoisonneuse

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        Que dois-je faire ? La tuer toute suite ? D'autant plus qu'elle m'explique avec toute sa pédagogie comment le faire. Elle me dit comment les choisir, la taille idéale, comment les broyer et quelle quantité d'eau ajouter pour rendre la mort la plus agréable possible.

       Pourquoi me dit-elle tout cela ? Je ne parviens pas à comprendre, elle ne s'est pas donné autant de mal à m'apprendre comment soigner mais elle prend tout son temps pour m'expliquer comment tuer.

— Kha, tu m'écoutes ? C'est important que tu retiennes bien tout ce que je te dis.

       Important ? Mais pourquoi ? Je n'ai pas l'intention de tuer tous ceux que je croise, car cela est un crime où je ne deviendrais qu'un simple meurtrier, comme elle, et c'est la dernière chose que je souhaite.
Je n'ai pas le temps de poser de questions que Léto tourne les talons et part sans chercher à m'attendre. Le chemin du retour est plus virulent qu'à l'accoutumée, je prends bien soin de me cacher pour mettre une distance entre les insultes et moi, même si un bout de tissus n'est pas suffisant.

— Sorcière, bientôt tu seras au bûcher.

— On sait ce que tu as fait et la justice tranchera bientôt.

— Tranchera sa tête vous voulez dire.

       Une série de rires finissent par éclater. Ils ont raison, Léto est une meurtrière, je le sais, elle mérite d'être punie pour ses actes. Mais je suis tout de même mal à l'aise. Tout le monde s'acharne sur elle, moi le premier, mais est-ce justifié ?
J'ai découvert une Léto douce, compatissante et qui a sauvé un enfant. Ne pourrait-on pas au moins lui reconnaître cela. La punir pour ses actes mais avec le respect que chaque être humain mérite, même le plus monstrueux.

        J'ai de plus en plus de mal avec l'ambivalence de ce personnage. Elle est salvatrice et meurtrière. Aujourd'hui la vie d'un jeune garçon pourra être pleinement vécue, elle pourra être longue et heureuse tandis que celle de son mari lui a été prise par les mains de sa femme.
Je décide donc que de retour à la maison, et à l'abri des oreilles indiscrètes, j'essaierai d'apprendre à mieux la comprendre, à savoir pourquoi elle en sauve un et en tue un autre.
Heureusement pour moi et ma patience le chemin du retour est assez court et nous sommes vite de retour.

— Pourquoi as-tu fait cela ?

— Comment ça ?

Elle m'a avoué un meurtre et semble déjà l'avoir oublié, comment cela peut-il être possible ?

— Pourquoi as-tu tué ton mari ? Et surtout pourquoi n'as-tu aucun remords ?

— Je n'ai pas de remords car j'ai fait ce qu'il fallait. Mais cela ne m'empêche pas de devoir vivre avec une tristesse constante depuis.

— Car tu as perdu celui qui te permettait de fuir la maison de tes parents ? Celui qui te permettait d'être un peu plus libre ? Celui qui aujourd'hui je remplace pour servir tes propres intérêts ?

       Léto me fixe de ses grands yeux qui deviennent humides, je comprends alors que je l'ai blessé avec mes paroles tranchantes. Et je n'arrive pas à savoir si je dois m'en vouloir ou non. La voix tremblante elle me répond alors :

— Non, parce que j'ai perdu l'amour de ma vie, celui que j'ai aimé de plus profond de mon âme et celui que j'aime malgré la mort. Jamais la flamme entre nous ne s'éteindra, malgré son dernier souffle.

       Le flou en moi s'épaissit. Je la pensais cruelle. Au mieux je me disais qu'elle l'avait tué pour se protéger, et au pire qu'elle avait cela par simple plaisir sadique. Mais pourquoi tuer quand on aime ? Pourquoi tuer une personne qui nous manque et dont l'absence sera une éternelle souffrance ? Pourquoi s'infliger soi-même une telle peine ?

— Tu dois te poser des tonnes de question, n'est-ce pas Kha ?

— On ne peut rien te cacher. Dis-je d'un ton sarcastique.

Léto prend alors une grande inspiration avant de commencer son explication.

— Je t'ai bien observé depuis que l'on s'est rencontré toi et moi, tu as un grand sens de la justice. Tu as envahi ce pays mais tu as toujours cherché à faire le moins de victimes possible, tu as même pris soin de la princesse qui s'était retrouvée prisonnière dans son propre palais entouré d'ennemis. Pour toi on ne doit tuer que pour nous défendre c'est ça ?

— Exactement, une vie doit être prise seulement si elle permet d'en sauver une autre, ou même la nôtre. C'est pour cela que tu as tué ton mari ? Ta vie était en danger ?

Une part de moi espère qu'elle répondra par l'affirmative, car de cette façon je pourrais l'excuser et je n'aurai pas à lui faire de mal.

— Non et cela était même tout le contraire. Avec lui j'étais heureuse, avec lui j'étais libre, avec lui j'étais loin de mon père violent, avec lui je regagnais confiance en moi et en l'humanité. Avec lui, je n'ai jamais été aussi vivante que ne l'avais jamais été et que je ne le serais plus jamais. Il était mon bouclier, ma force face aux épreuves de la vie. Avec lui, j'aurai pu mener une vie longue et heureuse car je savais qu'il était à mes côtés.

Elle a donc tué la seule personne qui la rendait heureuse et qui aurait pu la sauver de la condition déplorable dans laquelle elle était avant notre faux mariage ? Mais pourquoi ? Cela n'a aucun sens.

— Es-tu folle Léto ? Aurais-tu une pathologie qui ferait que tu peux tuer sans t'en rendre compte ?

Je continue à lui chercher des excuses pour une raison que j'ignore.

— Je ne suis pas plus folle que les autres et ce que j'ai fait n'était pas sous le coup d'une impulsion. Je l'ai longuement préparé, minutieusement et tout était prévu des lunes à l'avance.

— Tu es donc en train de me dire que tu es un assassin ?

— Exactement.

— Mais pourquoi me dire tout ça alors que visiblement un procès est proche pour toi ?

— Car si je pars au bûcher, je veux que tu comprennes pourquoi.

Kha: L'amour impossibleحيث تعيش القصص. اكتشف الآن