XIV - Chapitre LIX

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Aidée d'une servante du palais, Hélène s'était lavée, changée, coiffée et maquillée. Plus aucune trace de sa nuit blanche ou du duel sur son corps. Pourtant, elle revoyait encore parfaitement le sang et le corps s'effondrant, inerte. Ces images passaient devant ses yeux sans qu'elle ne puisse les contrôler ou les effacer.
Philippe aussi fut tout à fait prêt à reprendre les festivités de la cour sans que personne ne puisse deviner ce qui s'était passé... bien que les rumeurs ne les épargnent pas, car tant de monde avait assisté à sa bagarre de la veille.
Le couple quitta leur chambre dans le cours de l'après-midi pour rejoindre les grandes salles du palais qui, contrairement au matin même, grouillaient désormais de monde bruyant en tenues extravagantes.
La jeune femme était très mal à l'aise de retourner dans la fausse aux lions après tous les évènements dramatiques passés. Cette fois-ci, elle était résolue à ne pas quitter son mari, peu importe que les conversations ne soient faites que de politique. Elle portait une robe bleue pâle assez discrète et avait minimisé les rubans et perles pour ne pas se faire remarquer. Si elle pouvait devenir invisible, elle le serait en cet instant avec plaisir.

Elle sentait les regards sur elle et sur Philippe. Elle se faisait violence pour garder les yeux rivés droit devant elle sans trop baisser la tête de honte.
Ce n'était qu'une partie de cartes... je ne voulais rien de tout ceci... ce n'était qu'une simple partie de cartes...
L'épée le transperçant. Le corps tombant.
Hélène eut un frisson. Elle se sentait mal tandis que sa vision se troublait. Philippe sentit son léger malaise.

-Vous vous sentez bien?

Elle hocha la tête, tandis qu'au même instant, Guillaume apparu devant eux. Philippe et lui se touchèrent fermement et amicalement le bras. Tout état visiblement réglé. La jeune femme ne voulait pas en connaître les détails.

-Ta blessure est fraîche, ça se voit.
-L'avantage d'une cicatrice si impressionnante c'est que tout autre en devient oubliable...
-Espérons-le.

Guillaume tourna alors son visage vers Hélène qui était toujours si pâle.

-Comment allez-vous?
-Bien. Je vais bien.

Elle répondit avec plus de hâte qu'il n'aurait fallut pour paraître honnête, alors elle sourit poliment après sa phrase pour appuyer son affirmation.
Le sang. La mort. Sa faute. Ma faute.
Elle sentit ses jambes légèrement faiblir et eut un petit manque d'équilibre. Aussitôt Philippe l'a pris par la taille pour la maintenir en place.

-Faites bonne figure Hélène, cela est essentiel.
-Je... suis désolée... mais je crois que j'ai besoin de m'assoir...

Sa respiration s'accélérait anormalement. Son mari la guida jusqu'à une chaise et la fit assoir.

-Je vais vous chercher un rafraîchissement, déclara Guillaume qui s'éloigna rapidement mais sans paraître étrange.

-Oh mes amis!
-Madame de Colmette... répondit Philippe d'un ton soupiré à cette apparition soudaine.
-J'ai entendu parlé du... terrible décès. Dieu soit loué, il ne s'agit pas de vous.

Elle se tourna vers Hélène avant de continuer comme si Philippe n'était pas là:

-Même si être veuve à ses avantages, vous êtes encore bien trop jeune pour cela... Mais... que vous arrive-t-il? Tenez prenez mon éventail.

Hélène était en effet toujours aussi mal, et cela ne semblait pas aller mieux. Philippe n'aimait pas du tout ceci, se sentant impuissant et observé.

-Hélène reprenez-vous.

Guillaume revint avec un verre d'eau, mais la jeune femme ne pouvait rien avaler tant elle hyper ventilait.
J'ai tué un homme. Et ils le savent tous ici. J'ai... tué... un homme... Ma mère avait raison, je suis un monstre. Je mérite d'aller en enfer, de brûler.

-Depuis quand est-elle comme ça? demanda Guillaume à Philippe.
-Je ne sais pas, ça lui a pris soudainement. Je ne comprends pas ce comportement, nous ne risquons rien, je le lui ai dit.

Guillaume se pencha à la hauteur de la jeune duchesse assise et essaya de chercher son regard perdu.

-Avait-elle déjà vu un homme mourir de la sorte? Cela pourrait expliquer. Elle vient de réaliser, elle est choquée. Hélène regardez-moi. Hélène...

Le sang. Tout ce sang.

Guillaume savait ce qu'elle vivait. Car il avait vécu la même chose. Le sang. La neige. Les corps. Tant de corps.
Il prit doucement sa main dans la sienne, tandis que Philippe et Grace entouraient la chaise en observant avec impuissance.

-Hélène... écoutez-moi... Ce n'est plus réel, c'est terminé, ce que vous voyez est passé, vous n'êtes pas là-bas, vous n'êtes pas coupable, vous n'êtes pas dans la neige...
-Dans la neige?! interrogea Grace.

Guillaume se reprit en se raclant la gorge et fermant les yeux une seconde avant de reprendre:

-Revenez avec nous Hélène. Revenez dans le palais, en sécurité...

Ses deux mains entouraient l'une des siennes pour les contenir et la rassurer, et en effet, la respiration de la jeune femme se calma. Ses yeux cessèrent de déambuler dans le vide et son cœur reprit un rythme presque normal dans sa poitrine.
Son regard se fixa alors sur la personne devant elle, qui venait de la calmer et qui tenait sa main dans les siennes, un genoux à terre à ses pieds.
Elle plongea dans les deux grands iris verts qui la fixaient. Elle y plongea comme la première fois qu'elle les avait croisés, et comme tant d'autres fois depuis. Deux iris émeraudes qui lui faisaient oublié tout le monde autour. Et la chaleur de sa main, de sa peau. Son souffle. Sa peau. Sa respiration si calme et douce. Sa voix grave et sincère. Mais surtout, oh surtout, ses deux grands yeux d'une couleur si intense.

Guillaume demanda:

-Cela va mieux?

Hélène ouvrit lentement les lèvres, atrocement, et dans un murmure ne parvint qu'à dire:

-Ma couleur préférée est le vert émeraude...

Elle lui avait déjà dit, il le savait.
Mais c'était à elle même qu'elle se le chuchotait. Parce qu'elle n'avait jamais réalisé à quel point pourtant elle aimait cette couleur, et aujourd'hui, cela avait une toute autre signification...

Épées et BaisersWhere stories live. Discover now