VI - Chapitre XXI

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Six heures tapantes.
Les rideaux s'ouvrirent, le soleil s'engouffra, les paupières papillonnèrent.
Le même rituel, toujours. On la lave, on la coiffe, on la maquille, on l'habille. Encore. Encore.
Hélène commençait à s'habituer, mais elle redoutait toujours le même instant: celui où on lui serrerait le corset autour de la taille, si fort que ses côtes se recroquevillaient, que sa respiration se coupait.
Si sa mère prenait grand soin à serrer tout autant, si ce n'est plus, elle n'avait en revanche pas à subir alors tant d'émotions fortes, et elle parvenait à vivre avec son corset sans se sentir défaillir à chaque seconde. Ici c'était pour le moins différent. La soirée de la veille défilait devant ses yeux. Le fastueux l'étouffant, les corps nus se mêlant, son beau-frère la poursuivant, cet inconnu la réanimant. La robe et le corset qu'il avait déchirés étaient cachés dans un placard, ainsi que la veste de l'inconnu qu'il lui avait donnée pour se couvrir. Margot l'avait aidé à retirer le tout et Hélène avait tenu à ce qu'elle n'en parle à personne et cache les preuves. Elle craignait les représailles, pour avoir abîmés si beaux vêtements... pour avoir osé se faire ainsi déshabiller par un autre homme que son mari... Quelles seraient les conséquences alors si cela s'apprêtait? Sa mère la ferait battre pour la punir et expier sa faute et la ferait prier sans relâche, sans manger pendant des jours. Mais elle n'était plus sous la coupe de sa mère. Elle avait un époux désormais. Et elle craignait que cela ne soit pire encore.

Margot et deux servantes s'affairaient dans son dos pour serrer et lacer le corset, tandis que la jeune femme se cramponnait à sa coiffeuse en chêne.
Soudain, les portes de ses appartements claquèrent et une silhouette s'engouffra dans la chambre. Ces cheveux noirs, ces yeux noirs, cette carrure épaisse, cette taille immense, et surtout, cette cicatrice.
Le duc était rentré.

Les deux servantes se prosternèrent et Margot fit un léger mouvement de soumission furtif en baissant la tête avant de la relever aussitôt. Il ne la vit même pas de toute façon. Ses yeux étaient rivés sur sa femme, qui ne portait alors qu'une longue chemise blanche, un corset et des bas. Sensiblement la même tenue que pour les nuits où elle l'attendait.
Il fit un mouvement de main et les deux servantes quittèrent les appartements. Margot ne bougea, il releva alors les yeux vers elle:

-Vous aussi.

Margot et Hélène échangèrent un regard et cette dernière lui fit comprendre d'obéir. Margot partit. Inquiète.

Hélène avait ses bras repliés contre sa poitrine dont les formes se laissaient facilement deviner à travers le fin tissu blanc.
Philippe voyait que quel point la jeune femme était intimidée et surprise. Ses jours étaient empourprées, son regard fuyant, et tout son corps n'avait qu'une seule envie: disparaître.
Il s'interdit d'attarder son regard sur son corps, ne souhaitant pas l'effrayer davantage, et restait focalisé sur ses yeux. Il gardait le silence en revanche, et n'en pouvant finalement plus, Hélène le brisa, d'une voix qu'elle n'espérait pas trop tremblante.

-Vous... avez fait bon voyage?
-Oui. Merci. Épuisé mais heureux d'être de retour chez moi. Et votre séjour en mon absence, comment cela s'est-il passé?
-Bien.

Jusqu'à la soirée d'hier. Mais ça, elle ne le mentionna pas.

-Qu'avez vous fait?
-J'étais avec Margot. Nous avons lu, nous nous sommes promenées...
-Deux jeune filles sages en somme.

Hélène n'aimait pas son ton. Trop calme. Trop effrayant. Trop quelque chose, mais elle n'arrivait pas à poser le doigt dessus.
Elle se contenta d'hocher doucement la tête, et Philippe s'approcha alors d'un pas vers elle, ce qui crispa encore un peu plus les bras de la jeune femme contre sa poitrine. Et il articula alors d'une voix vraiment trop calme:

-Et vous vous êtes bien amusée à la soirée d'hier?

Épées et BaisersWhere stories live. Discover now