Chapitre 2

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Je tapotai rageusement sur les boutons de l'autoradio, tentant désespérément de trouver une fréquence qui ne grésille pas dans les haut parleurs de ma voiture. Face au caractère capricieux de la machine, j'abandonnai et baissai complètement le volume en m'affaissant dans mon siège. Je soupirai.

Je n'aimais pas particulièrement les lundis. Personne n'aimait les lundis d'ailleurs.

C'était le jour de la semaine le plus chargé.  Je devais prendre la route et me rendre à Séoul, passer des heures dans les bureaux de Idem Agency à parler de statistiques, de mise en page et de correction, des heures de blabla à n'en plus finir auxquelles je ne prêtais pas une très grande attention. J'en profitais généralement pour passer dans une boulangerie française de la capitale et apporter quelques viennoiseries à  halmoenie [1]. 

Une journée éreintante pour commencer chaque semaine. Il n'y avait pas si longtemps que cela, j'avais l'habitude d'enchainer des journées bien pires. Avec du recul, j'ignorais comment j'avais réussi à endurer cela.

Il était encore tôt,  à peine six heure du matin. Je préférais partir dès l'aube pour éviter les bouchons titanesques de la ville, cela me permettait également de profiter d'un peu de calme avant la tempête dénommée Park Miyeong. 

J'arrivai finalement à destination et me stationnai dans le parking de l'agence avant de m'extirper de ma petite voiture. Je tapotai doucement sur le capot comme je l'aurais fait avec un animal de compagnie. Cette voiture avait été mon compagnon le plus fidèle durant mes cinq dernières années d'existence, elle ne m'avait jamais laissée tombée et je ne lui tenais pas rigueur de son autoradio instable. Elle était un peu usée par les kilomètres mais toujours en très bon état et elle m'avait servi tour à tour de refuge, de domicile, de véhicule professionnel... Je lui devais véritablement une fière chandelle.

J'empruntai l'ascenseur pour me rendre directement à la cafétéria. Je croisai mon reflet dans le miroir de la cabine et abaissai ma casquette un peu plus dans l'espoir vain de cacher mes yeux cernés de fatigue. Les couloirs de Idem Agency n'étaient pas encore grouillant de monde, je ne pouvais que m'en réjouir. Je me dirigeai tout droit vers les distributeurs automatiques de la cafétéria et y sélectionnai un petit paquet de confiseries acidulées. Ce geste du lundi matin était devenu une habitude, un plaisir presque puéril censé me donner l'énergie de subir la réunion qui suivait. Je m'assis dans un coin de la cafétéria, seule à une table. Un homme d'âge mur lisait le journal et un agent d'entretien était occupé à nettoyer le bar, j'évitai soigneusement leur regard et me concentrai avec passion sur les bonbons roses et bleus. 

J'avais longuement réfléchi la nuit passée, de toute évidence, il me serait difficile de produire une romance dont la qualité permettrait sa publication. J'étais peut être encore jeune, mais j'avais réussi à apprendre en moins de deux ans de carrière que seule l'écriture passionnée avait de la valeur. Atteindre le cœur des lecteurs avec un message qui ne partait pas du nôtre relevait de l'impossible. Il ne m'avait pas fallu longtemps pour le comprendre, après tout, si mon premier recueil m'avait offert ma place sur le marché du livre, c'était bien parce qu'il contenait toutes les émotions que je n'étais pas parvenue à garder pour moi durant cette période. J'avais laissé ma vulnérabilité transparaitre, me livrant toute entière sur ces pages, mes émotions comme aspirées par l'encre noire. Je me rappelais encore la frénésie qui me prenait chaque soir, dans la sûreté de l'habitacle de ma voiture, et qui faisait glisser la plume sur mon petit carnet encorné, éclairé de la lumière d'une lampe de poche. 

Une part de moi était gênée de me dire que toute cette fragilité était accessible au grand public, que cela avait été lu par des milliers de personnes. J'ignorais toujours quelle pulsion m'avait poussée à publier ces poèmes sur internet, je me souvenais uniquement de ce besoin presque animal de m'exprimer, c'était une façon de crier silencieusement ma douleur. Mon pseudonyme, "Ice", agissait comme un bouclier entre moi et la perception du monde extérieur sur ce qui m'était si intime, si personnel.

Une part de moi toujours, était déçue de ne pas pouvoir continuer à écrire de cette façon. La vérité était que je n'étais pas aussi complexe ou profonde que ce que les lecteurs attendaient de moi. J'étais même plutôt complètement unidimensionnelle, la palette d'émotion que je parvenais à exprimer était plutôt limitée... Il n'en résultait qu'un état d'ennui presque constant, une morosité qui n'attirait plus personne.

Je n'étais pas encore sure de la solution à apporter à ce problème, mais je savais que je ne pouvais pas me mentir à moi-même. Si je ne pouvais plus écrire pour gagner ma vie, alors je devais faire autre chose. 

Mon cœur se serrait un peu à cette idée, mais je n'étais pas effondrée pour autant, je pouvais toujours continuer à consigner mes sentiments dans mes écrits, il fallait simplement que je trouve de quoi gagner suffisamment pour vivre. 

Le plus dur maintenant était d'annoncer cette décision à Miyeong.

Je relevai le regard et aperçu une petite brune accourir vers moi, ses grands yeux pétillants me fixant avec intensité.

-Ice! Ice, Ice, Ice!

Je me relevai, surprise par cet accueil énergique. Miyeong semblait à bout de souffle, mais son regard brillait d'excitation et de malice. Elle se jeta littéralement sur moi pour m'enlacer.

-Ice! Oh mon dieu Ice!

-Que se passe-t-il, tentai-je de comprendre en l'agrippant par les épaules pour la repousser.

Elle ne sembla pas m'en tenir rigueur. Portant les deux mains à sa bouche comme pour s'empêcher de crier, elle commença à sautiller sur place, telle une enfant à qui on venait d'annoncer le passage imminent du père Noël.

Je clignai des yeux d'hébétement, pas très sure de comprendre ce qui arrivait à la jeune femme. Je cru voir des larmes se former au coin de ses yeux.

-Miyeong-ssi ! Tu pleures ?

Elle fit encore un bond en l'air et tapant dans ses mains.

-De joie Ice ! Je pleure de joie !

-Je ne suis pas sûre de comprendre... fis-je d'une faible voix, sachant pertinemment que dans l'état où elle se trouvait, Miyeong ne m'écoutait de toute façon pas.

Bonghui apparut soudainement dans la cafétéria, sa silhouette menue accouru jusqu'à nous. Elle semblait portée par la même hystérie que Miyeong.

-Miyeong Sunbae[2] ! Le magazine Claire Korea vient d'appeler ! Ils souhaitent une interview !

Face à cette annonce, Miyeong me fit à nouveau face, la bouche ouverte en un "O" de surprise. Elle m'enlaça de nouveau, résistant à mes protestations. 

-Mais enfin que se passe-t-il! finis-je par m'écrier, attirant pour de bon l'attention des deux éditrices.

Elles s'échangèrent encore un regard complice et Miyeong prit enfin la peine de me répondre, sa voix chantante traduisait sa joie:

-La chance t'as souri Lila, et cette chance s'appelle Byun Baekhyun.


[1]: Halmoenie (할머니) : grand-mère, ou toute femme âgée avec laquelle on entretient une relation de proximité (en l'occurrence, la personne qui prête à bail l'appartement de Lila)

[2] Sunbae / sunbaenim (선배님): sénior/ supérieur hiérarchique/ maitre/ personne qui exerce les mêmes fonctions depuis plus longtemps.

Poison - Fanfiction Byun Baekyun [TERMINE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant