La Commandante II

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Mandréline regardait la route défiler, les yeux dans le vague du jour qui ne tarderait plus à se lever sur les champs. Elle mourait d'envie de proposer au reste du groupe de faire les choses à la manière de Matthieu : foncer dans le tas sans ces alliés détestables. Cependant, le fait même que ces derniers concèdent à une entente temporaire faisait démonstration de l'aplomb de leurs ennemis communs. S'ils voulaient retrouver Alexandre et sortir la ville d'entre les griffes des wendigos, ils n'avaient d'autre choix que de les rejoindre.

— Tu sais qui est ce Chauvel dont elle a parlé ? demanda Olive à l'adresse de Caleb.

— Elle parlait d'Armin. Celui qui est à la tête de l'usine. Je l'ai vu à l'inauguration. Par contre, je me demande bien comment elle connaît Aby.

— C'est bizarre, ça me dit quelque chose, marmonna Olive.

— Moi aussi, j'ai déjà entendu ce nom quelque part, fit Mandréline.

— On fera une petite recherche à la villa.

— Ça n'avancera pas à grand-chose, estima Caleb.

— On ne sait jamais, répondit Matthieu. Moi aussi je veux savoir qui c'est.

— Elle fout les pétoches en tous cas, dit Olive. Liam va se pisser dessus.

— Je suis pressé qu'on vienne à bout de ces monstres.

— Tu parles des wendigos ou des Chasseurs ? le charria Caleb.

Matthieu, interloqué, ne comprit pas. Olive changea de sujet :

— Au fait, qu'est-ce qu'elle avait avec ton nom, Mandréline ?

— Je ne sais pas... Mais d'après Caleb, je ne viendrais pas d'ici.

— C'est large « ici », tu peux être plus précise ?

— Je pense qu'elle est née dans un monde occulté, dit Caleb en regardant la route, se disant à lui-même qu'il n'était plus à ça près question révélations.

Olive resta abrutie quelques secondes :

— Attends. Tu peux répéter ?

— Mandréline a une Gardienne, expliqua-t-il, faisant miauler Luna. Elle dessine des choses qu'elle ne connaît pas. Je ne sais ni ce qu'elle est, ni qui elle est, mais elle ne vient pas de la Terre.

— C'est quoi un monde occulté ? demanda Matthieu, les yeux brillants.

Caleb leur expliqua brièvement.

— Bordel, lâcha Olive. Et comment savoir duquel, s'il y en a plusieurs ?

Personne n'avait la réponse.

— Ils ressemblent à quoi, ces mondes ?

— A des mondes magiques, répondit Caleb.

— C'est-à-dire ?

— Il y a d'autres Loups, là-bas ? demanda Matthieu.

— Non, conclut-il sèchement la discussion.

— Un peu lunatique, ton ami, murmura Olive à l'oreille de Mandréline.

Lunatique, ou blessé, pensa-t-elle. Par ces mêmes Chasseurs auxquels nous allons nous allier.

La route isolée les épargna de toute rencontre inopportune jusqu'à l'orée de la ville. Caleb prit garde de rouler sur les chemins les moins fréquentés. Quand Chiara leur ouvrit, des valises sous les yeux, Matthieu s'illumina et l'enlaça sans lui demander son avis.

— Tu t'inquiétais ? demanda-t-il au comble du bonheur.

— Les autres dorment, vous devriez aller vous coucher, dit-elle en douceur. Vous nous raconterez tout demain matin, ajouta-t-elle en jetant un œil à l'horloge du salon dont la petite aiguille la contrariait.

Rêvant tous de replonger dans des draps moelleux, ils ne la contredirent pas. Chiara rejoignit Katharina. Mandréline et Olive se glissèrent sous la couverture, Luna se blottissant contre elles. Le sommeil les emporta sans leur laisser le temps de se poser des questions.

Mandréline ouvrit les yeux sur une femme en sueur. Son visage bouffé par l'effort, elle souffrait le martyre. Elle posa une main sur la sienne. Une mèche brune collée sur le front, elle était si belle. Dans la grotte humide et sombre, Mandréline avait chaud. Tout comme la femme aux dents serrées, elle était adossée à la bête. La fourrure, aussi brune que leur chevelure, était d'une douceur incomparable. Mandréline écouta les battements du cœur qui résonnaient derrière l'immense cage thoracique. La chair molle aurait pu l'engloutir. La femme plissait les yeux, soufflait. Mandréline ressentait de drôles de sensations. De la peur, de la joie. Des papillons, des nœuds. Sa mère lui offrit un sourire l'espace d'une seconde. Entre deux douleurs lancinantes.

Mandréline eut un haut-le-corps, réveillant Olive qui ouvrit les paupières dans un sursaut similaire.

— Ça devient une habitude, lança cette dernière pour rire avant de se rendre compte que des larmes noyaient ses joues, perlant sous son menton et retombant sur sa poitrine. Merde, ça va ?

— J'ai vu ma mère, répondit Mandréline de la même manière que si elle avait parlé d'un fantôme. Dans un rêve. Elle souffrait tellement, ajouta-t-elle dans un nouveau sanglot, l'esprit encore embrumé.

Olive allait s'approcher quand elle perçut des pas derrière la porte.

— C'est qui ? demanda-t-elle acerbement.

Caleb apparut dans l'entrebâillement de la porte.

— Qu'est-ce que tu fous là ?

— J'ai entendu Mandréline pleurer et..., dit-il en se frottant la nuque.

— Ah. Ton pouvoir de Loup, c'est ça ? Ben viens, maintenant, reste pas planté là comme un benêt.

Conscient qu'il arrivait comme un cheveu sur la soupe, il se cala dans un coin de la pièce.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineWhere stories live. Discover now