Badinons tant qu'il en est encore temps I/IV

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La terre privée d'humidité relâchait de la poussière. L'herbe muait en paille et des incendies se déclenchèrent au sein des forêts. Le niveau des cours d'eau, qui avait d'abord inquiété lorsqu'il débordait, alarmait désormais par sa décrue subite. Le vent n'était pas plus frais que l'air environnant et plus rien ne poussait. Les cultures qui avaient résisté jusque-là fanaient, anéanties par les violentes rafales, les inondations et les changements constants de température. Les productions agricoles s'effritaient comme peinture au mur. Les plantations de soja nécessaires à l'alimentation des bœufs n'engendraient plus rien qui puisse être récolté. Les agriculteurs, dont les réserves étaient déjà affaiblies depuis les intempéries estivales, ne possédaient plus suffisamment de fourrages pour nourrir leur bétail. Les végétaux étaient devenus immangeables. Tant pour les bêtes que pour les Hommes.

Le gouvernement s'allia aux pays frontaliers, tentant de mettre des solutions en place. Epuration des eaux usées, transvasement de provisions d'eau vers les sources amenuisées, surexploitation des aquifères, dessalage de l'eau de mer, construction de puits, aqueducs, barrages... Les journalistes parlèrent même de la possibilité d'une augmentation artificielle des précipitations. Malgré toutes ces expériences, les plus âgés et les plus jeunes se déshydrataient à une vitesse phénoménale, saturant cabinets de médecins traitants et hôpitaux.

Avec la chaleur, la faim s'empara de Vrennes. Les moins prévoyants s'étaient retrouvés à court de nourriture, dont les prix avaient explosé. Les camions à destination des grandes surfaces se déchargeaient trop vite, et il fallait moins de dix minutes à ces dernières avant d'être dévalisées. Chacun se précipitait, attrapant tout ce qu'il pouvait avant de s'enfuir sans payer les quelques caissiers qui avaient pour mission de gérer les clients à bout de nerfs. Pourtant, aucun renforcement policier conséquent ne vint leur prêter main forte. Les agents, surchargés à cause des dérapages qu'avait entraîné la panique générale, étaient déjà sur d'autres fronts, quand ils n'avaient pas tout bonnement abandonné leur fonction.

Lorsque les dernières denrées alimentaires furent épuisées, un plan d'urgence fut déployé pour survivre à la famine : abattre le bétail, les bœufs et les chevaux qui dépérissaient lentement faute d'être nourris, avant qu'ils ne meurent de faim, sans plus aucune graisse sur les os. Produire un maximum de produits d'origine animale à l'aide des dernières femelles : lait, œufs, fromage, beurre, ... Puis abattre les vaches laitières, les chèvres et les poules pondeuses.

Epuiser les dernières ressources.

Et après, « Le temps changera, et tout rentrera dans l'ordre », avait affirmé le ministre de l'Agriculture, alors que les météorologues et autres experts n'apparaissaient plus sur les écrans depuis plusieurs jours.

Olive maugréa devant le poste de télévision, tellement furibonde qu'elle ne savait plus quels mots employer.

— Mon cul, oui ! Ils vont s'engraisser jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien, et nous on peut crever, ils s'en tamponnent le coquillard. A chaque changement climatique, y a une nouvelle catastrophe. C'est quoi la prochaine ? Bande de trous du cul ! Des années, ça fait des années qu'on leur dit « Allô, si on ne se bouge pas, on va tous crever ! », mais non ! Messieurs et mesdames les ministres et compagnie contrôlaient la situation !

Elle se cala brutalement dans le fond du canapé et tendit la main vers l'étagère où reposait leur humble stock de nourriture, avant de se raviser.

— Bordel, j'peux même plus bouffer pour me calmer !

Dans sa poche, son smartphone vibra. En voyant le nom affiché, elle fila dans sa chambre et claqua violemment la porte, ne laissant le temps à aucun de ses colocataires de réagir.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineWhere stories live. Discover now