Des crocs et des crayons II/III

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Liam se leva aux aurores, trop heureux de sortir du lit dans lequel Matthieu avait progressivement pris toute la place. Après avoir examiné les réserves du sous-sol, il s'affaira à préparer un petit-déjeuner de roi avec le strict minimum pour tous les habitants de la villa. Il disposait les couverts sur la longue table lorsque son téléphone sonna sur le plan de travail de la cuisine.

— Oui, maman ? décrocha-t-il. Oui on va bien, on va dormir quelques temps chez...une amie qui a des provisions. On avisera plus tard. Et vous ? Mai, Jelena ? Et Charlie ? Et papa ?

— Tout le monde va bien, mais je crains qu'on ne doive finir par partir. Il doit bien y avoir un endroit ménagé par toutes ces catastrophes, non ?

Il perçut le désespoir dans sa voix mais ne sut que répondre.

— On te tient au courant, continua-t-elle. Ne t'inquiète pas pour tes amies, on les prendra avec nous si elles veulent. Prenez soin de vous, je t'aime.

— Je t'aime aussi, maman.

— Comme c'est mignon, le taquina Olive pendant qu'il raccrochait.

Il faillit retourner ses mots contre elle pour la taquiner, mais se retint. Aborder le sujet de la famille d'Olive n'aurait rien de comique.

La bande entière descendait les escaliers. Seule Aby manquait à l'appel. Les jeunes prirent place comme au restaurant, la grand-mère de Caleb faisant irruption par la porte de la cuisine. Un châle sur les épaules, elle venait du jardin dans lequel reposait Agata, une croix faite de branches et de fleurs séchées plantée dans la terre retournée.

— Madame Gayl ? Vous êtes levée depuis longtemps ? demanda Liam, qui ne l'avait pas vue ni descendre, ni sortir.

— Vous ignoriez que les vieilles personnes requéraient moins de sommeil ? répondit-elle en prenant une chaise en bout de table, trônant face à son hôte.

— Qu'est-ce qu'on fait pour Chiara ? lança Matthieu.

— On ne peut pas d'abord manger tranquillement ? supplia Olive, le ventre contrarié.

Pour une fois, ce fut elle qui reçut une avalanche de regards désapprobateurs. Elle leva les yeux au ciel avant de s'affaler contre le dossier de sa chaise. Aby rajusta son ample chemise de nuit et but calmement son thé avant de lever un œil vers les jeunes avec une prestance qui attendait des éclaircissements.

— Mon amie a été enlevée, expliqua Katharina. Je pensais que Caleb et Mandréline vous l'auraient précisé.

— Ils l'ont fait.

— On ne devrait pas essayer de recontacter la police ? demanda Caleb.

— Quelle police ? fit Katharina. Ils ont malheureusement plus urgent à régler que la disparition d'une ou même de deux adolescents... Tout le pays est envahi par les anarchistes.

— Les anarchistes, pouffa Olive. Ceux qui n'ont pas une cave remplie pleine à craquer, tu veux dire ?

— Katharina a raison, tu as bien vu qu'ils ne répondent plus aux appels, dit Mandréline pour Caleb. Les lignes doivent être saturées. On doit se débrouiller seuls.

— OK, alors récapitulons, réfléchit Olive. Des vieux SDF ont disparu. Mandréline a vu une camionnette suspecte près du lac, puis Chiara se faire enlever par le même type de véhicule dans le quartier de l'université. Le père de Chiara avait déjà disparu avant sa fille, et son personnel est sur le coup.

— On espère pour lui, nota Liam.

— On est déjà allés faire un tour au lac, ajouta Caleb avant d'expliquer brièvement qu'ils n'y avaient trouvé qu'un bout de bermuda.

— Un bout de bermuda plein de sang, précisa tout de même Mandréline.

— Chiara ne porte pas de bermudas. On devrait retourner là où elle s'est fait kidnapper, dit Katharina.

— Si les ravisseurs sont les mêmes pour toutes les disparitions, il y a peu de chances qu'on les y recroise, dit Caleb.

— Tu as une meilleure piste ? demanda Katharina. Et puis rien ne dit que ce sont les mêmes personnes.

Caleb jeta un œil à Aby et abdiqua.

— Les vieux ont peut-être disparu sous des décombres ou dans des accidents, dit Olive.

— On devrait se concentrer sur Chiara, dit Matthieu.

— Et Alexandre, ajouta Mandréline. On pourrait se séparer ?

— On couvrirait plus de terrain et on serait plus discrets, approuva Olive.

— Mais si on se fait enlever ? risqua Liam, un rien angoissé.

— Alors tu feras l'espion, dit Katharina.

— Pourquoi tu pars du principe que ce sera moi ?

— Une intuition ? ricana Olive.

— Pourquoi j'ai la drôle d'impression que vous allez me jeter en pâture aux méchants ?

— Mais du coup, on cherche quoi, exactement ? demanda Matthieu.

— N'importe quoi, pourvu que ça nous mette sur la piste de Chiara et d'Alexandre, répondit Mandréline.

Aby et Caleb échangèrent un regard lourd de sens. Ils n'avaient aucune idée d'où ils mettaient les pieds.

Le groupe se scinda le soir-même. Matthieu et Katharina firent une ronde entre le Ministère et la maison de Chiara, espérant son retour ou des nouvelles de la part du personnel de son père. Liam et Olive retournèrent au lac, Aby et Mandréline se planquèrent derrière les commerces vandalisés où Chiara avait été vue pour la dernière fois, tandis que Caleb devait surveiller les alentours de l'université.

Matthieu et Katharina longeaient les rues, lentement, cherchant des yeux la silhouette élancée, élégante, les légendaires cols roulés et les cheveux raides. Quelques rares badauds suspects profitaient de la fraîcheur du soir pour se promener, mais Chiara n'était pas là. Les deux étudiants prirent le parti de suivre discrètement les gens qui se faufilaient dans la nuit, sans grand succès. Ils ne faisaient que se balader, s'asseoir ou rentrer chez eux. Rien de bien criminel. Katharina gardait néanmoins l'œil ouvert, attentive au moindre mouvement. Matthieu, lui, commençait à traîner des pieds.

— Ça sert à rien, lâcha-t-il.

— Bien sûr que si, le coupa Katharina. Réfléchis deux minutes. Si elle s'échappe, où ira-t-elle en premier lieu ?

— Chez toi.

Katharina s'arrêta brusquement. Matthieu se retourna.

— Quoi ? C'est vrai, commença-t-il à se défendre.

— Tu as raison.

— J'ai raison ?

— Oui ! dit-elle en attrapant son poignet et en accélérant vers la villa. Son père disparu, elle viendra se réfugier chez moi ! Pourquoi irait-elle chez elle, seule, si elle a peur ?

— Chiara n'a jamais peur.

— C'est ce qu'elle aimerait te faire croire. Dépêche-toi, le hâta-t-elle en s'imaginant Chiara sonner sans que personne ne lui ouvre.

— Attends, dit Matthieu. Je reste.

— Tu te moques de moi ?

— Une personne suffit pour lui ouvrir. Tu n'auras qu'à me téléphoner si tu la retrouves. Je préfère continuer au cas où.

— Fais attention à toi, elle m'en voudrait si on égratignait ton joli minois, lança Katharina en courant vers la villa.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineWhere stories live. Discover now