Une eau furibonde IV/V

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Madame Jensen les invita à s'asseoir dans le salon pendant qu'elle préparerait du thé chaud. Liam dénoua ses lacets, ôta ses grosses chaussettes imbibées d'eau poisseuse et enjoignit les deux filles à l'imiter, disparaissant un instant avant de revenir avec trois serviettes chaudes, ainsi qu'une quatrième, humide, qu'il utilisa pour nettoyer Charlie, dont la langue pendait en permanence.

La décoration de la maison était vieillotte. Le papier peint était démodé et les meubles en vieux chêne. Installés dans le canapé qui longeait le mur, Mandréline remarqua les photos de classe sur la cheminée qui servait de meuble-télé. Liam n'avait pas changé. Il avait toujours la même bouille et le même regard pétillant. Une bonté brute. Seule sa coiffure avait été révisée.

— Sérieusement ? La coupe au bol ? Y a moyen de faire plus ringard ? se tordit de rire Olive.

— C'est ma mère qui les coupait...

Celle-ci réapparut dans le salon avec un plateau au parfum de miel et de citron.

— Et il était adorable, acheva-t-elle de l'anéantir. Mais dites-moi, jeunes filles, d'où venez-vous ?

Liam craignit la réaction d'Olive, qu'il avait déjà cuisinée dans le train.

— J'habite à Cerrou, répondit-elle.

— Oh ! Et tu n'as pas choisi de faire tes études là-bas ?

— Je voulais prendre de la distance.

— Ah bon ? fit doucement madame Jensen. Et toi, Mandréline, c'est bien ça ?

Elle hocha la tête.

— Je vivais à Frisagnon, madame.

— « Vivais » ?

Mandréline se mordit l'intérieur de la lèvre. Elle se voyait mal expliquer le pourquoi du comment de sa fugue à des parents. En revanche, elle imaginait très bien monsieur et madame Jensen téléphoner à ses parents en voulant l'aider. Ce qui ne l'aiderait pas du tout.

— Je vois..., finit par dire madame Jensen. Eh bien, vous êtes les bienvenues, mesdemoiselles, continua-t-elle. Restez aussi longtemps que vous le souhaitez. Oh, et une dernière chose ! Appelez-moi Tâm. Je ne suis pas si vieille ! ajouta-t-elle avant de disparaitre pour revenir quelques secondes plus tard fourrer des draps dans les bras de Liam. Va donc montrer leur chambre à tes invitées, Don Juan !

Il s'exécuta, suivi des filles qui portaient leurs sacs de voyage. Mandréline ne put s'empêcher de remarquer que les marches ne craquaient pas. Liam les guida dans le couloir tapissé du même papier peint que le rez-de-chaussée, une bande fleurie de lavande séparant le jaune du bleu sous la lumière tamisée des abat-jours. Instinctivement, il ouvrit la première porte. Et la referma aussitôt en jurant dans la barbe qu'il n'avait pas.

— C'est ta chambre ? demanda immédiatement Olive en posant sa valise pour rouvrir la porte.

Luna se percha sur la bibliothèque qui se trouvait juste à côté et des pas précipités résonnèrent dans la cage d'escalier. En un instant, Charlie se retrouva sur le lit de son maître, les quatre fers en l'air et la langue pendouillant de joie.

Olive se fit un plaisir d'inspecter la garçonnière de fond en comble. Tout était bleu, mis à part la garde-robe canari. En face se dressait une étagère pleine d'échardes habitée par une horde de BD et de figurines qui avaient perdu leur pigmentation originale.

Lorsque madame Jensen les appela de la cuisine, Mai et Jelena étaient déjà servies, et leur père, qui avait échangé son uniforme contre un simple t-shirt et un short confortable, trônait en bout de table. Madame Jensen surgit dans la salle à manger, un colossal plat de pommes de terre rissolées entre ses mains gantées. Mandréline se demanda pourquoi tout ici était soit jaune, soit bleu, ou dans le cas de ces maniques ou du papier peint, les deux à la fois.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineWhere stories live. Discover now