Un panier trop rempli vaut mieux qu'un panier vide III/III

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A dix-neuf heures, la météo débuta à la télévision, qu'ils avaient pris l'habitude de garder allumée en fond afin de suivre les événements, annonçant un temps particulièrement sec et froid qui continuerait à gercer les lèvres et craqueler la peau.

...des températures estivales sont à prévoir dès la semaine prochaine, dit soudain la présentatrice, qui parut elle-même étonnée par ce qu'elle annonçait.

— Des températures estivales ? répéta Olive la fourchette en bouche.

— Ils viennent de dire qu'il ferait froid, dit Mandréline dans la même incompréhension.

— Cette semaine il fait froid, c'est la prochaine qu'il fait chaud, expliqua Liam.

— Merci, génie, fit Olive en levant les yeux au ciel. Tout va bien dans le meilleur des mondes, quoi.

— C'est plutôt sympa qu'il fasse bon, non ? Quoique j'adore faire des bonshommes de neige, dit-il l'air pensif.

— T'es retardé en plus d'être hyperactif ? Check l'écran.

Le journal TV présentait des images d'agriculteurs anéantis, ne sachant plus que faire pour ressusciter leurs plantations. La seconde d'après, c'étaient des images de manifestations devant des magasins.

— Quelqu'un a refait un tour au supermarché ?

— Oui, mais il n'y avait presque rien, avoua Mandréline.

— On devrait peut-être manger moins, dit Liam. Si les ressources viennent à manquer...

— C'est vrai, à l'hôpital, on avait parlé de faire des réserves et finalement on n'a pas fait très attention.

Ils n'avaient pas exagéré, mais ne s'étaient pas restreints non plus.

— On doit se rationner..., lâcha Olive comme pour elle-même avant de laisser tomber sa tête en arrière.

— Il va falloir y retourner rapidement, continua Mandréline. Si le reste de Vrennes panique et que les stocks ne se renouvellent pas, il n'y aura vite plus rien du tout. Si ce n'est pas déjà le cas.

A cet instant, une clef tourna dans la serrure et ils orientèrent tous trois la tête en direction de la porte pour découvrir des boucles blondes.

— Alexandre ? s'exclama Mandréline, les yeux grands ouverts.

— Bordel, on commençait à se demander si t'étais mort ! fit Olive.

— Pourquoi tu ne répondais pas à nos appels ? s'enquit Liam en ouvrant les bras pour l'accueillir.

— Je vais me coucher, répondit Alexandre avant d'aller s'enfermer dans sa chambre, Liam les bras toujours tendus dans le vide.

— Waw, ça je l'avais pas vu venir, lâcha Olive. Qu'est-ce qui lui prend ? Il s'est forgé un caractère à la campagne ?

— O' !

— C'est vrai, pourquoi il réagit comme ça ? appuya Mandréline avec davantage de douceur.

Olive haussa les épaules.

— Au moins, maintenant, on sait qu'il est vivant !

De sa chambre, Alexandre entendait absolument tout ce qui se disait dans le salon. Si Olive ne mâchait pas ses mots, Liam et Mandréline avaient l'air sincèrement troublés. Il ne se sentait cependant pas la force de leur raconter. Les mots étaient coincés au fond de lui, laminés sous une enclume. Ses yeux manquaient d'eau pour pleurer. Il se sentait vide. Vidé. De toute émotion, de toute vitalité. Il n'était plus capable de raconter comment il avait été témoin de la mort de ses propres parents. Il ne voulait plus penser à son impuissance, à sa faiblesse. Il ne voulait pas admettre qu'il ne pouvait plus se regarder dans le miroir. Qu'il se détestait d'avoir laissé mourir sa mère et d'avoir vu trop tard son père étalé de manière si grossière sur le carrelage. Il ne pouvait pas leur dire qu'il était demeuré figé des heures sous l'escalier. Il ne voulait plus songer à celles qui avaient suivi dans l'attente d'une ambulance inutile. Il ne voulait plus voir dans son esprit la tirette se refermant sur le visage de ses parents, emmenés sur les brancards. Il ne voulait plus penser au dernier regard de sa mère, au filet de sang coulant de sa bouche. Il ne voulait plus entendre de condoléances auxquelles il ne savait que répondre. Il ne voulait plus entendre parler de la maison, du notaire, des funérailles et des amis éplorés de ses parents qui le prenaient dans ses bras comme s'il se souvenait d'eux. Alexandre aurait voulu oublier, revenir en arrière, agir en héros, ou mourir à leur place. Mais au lieu de ça, la mort et la culpabilité le tiraient vers son lit, lui donnaient envie de dormir, de sommeiller sans rêves, jusqu'à ce que tout ça lui semble assez loin pour pouvoir se regarder dans le miroir sans y voir les boucles de son père et les taches de rousseur de sa mère.

Les enfants de Bellegardane - T. 1 : MandrélineWhere stories live. Discover now