Alexandre se retourne, lâchant Elisabeth.
Le visage déformé par la rage du vampire disparait, retrouvant ses traits charmeurs et un sourire faux qu'il oblige sur ses lèvres. Joshua, le Sire de la comtesse, perdu de vue depuis de siècles ne lui avait pas manqué.
Ce dernier se découpe dans l'embrassure de la porte du salon. Cheveux noir coupés courts, costumes impeccables, cravate fièrement nouée, expression glacée. Le vieux vampire est tiré aux quatre épingles, comme à son habitude.
Il ressemble à un bureaucrate, de ces mêmes hommes qui transportent leur attaché caisse tous les jours dans le métro, envahissant les villes comme des fourmis travailleuses. Et il n'est rien de plus qu'un sbire du conseil, siégeant au milieu des tas de poussières, de ces vampires trop vieux pour bouger plus d'une lèvre gercée.
Elisabeth s'échappe, se redressant en époussetant ses vêtements. Elle glisse une main sur son cou, jetant un regard noir à Alexandre.
— Trop aimable, rie Joshua dans une parodie de remerciement. J'ai informé Elizabeth de l'arrivée de ce vieux fou de Salazar. Tu ne pensais quand même pas pouvoir te débarrasser de lui aussi facilement ?
Alexandre se tend d'une grimace, grinçant dans des dents. Peut-être a-t-il été naïf mais il pensait sincèrement être débarrassé de son créateur. Que les machinations de l'italien n'était plus qu'un ancien souvenir.
Il avait rêvé trop fort. Et prié trop bas.
— Tu as lancé le dé d'un jeu bien trop dangereux pour toi Alexandre. Aujourd'hui, c'est à son tour. C'est à lui de jouer, dit-il. Plus explicitement, Alexandre, tu as raté ton coup et je suis navré de t'apprendre qu'il sera ton dernier. A moins que...
Il s'interrompt avant de laisser un bref rire s'échapper d'entre ses lèvres fines, sous le regard moqueur d'une Elisabeth muette.
— Qu'est-ce que je peux être étourdi parfois. Toi, le grand Alexandre, tu es bien trop fier pour demander de l'aide à tes amis, lance-t-il en tendant la main à la comtesse, ne lâchant pas l'emprise de son regard sur celui du vampire.
— Je n'ai pas d'ami, glisse l'immortel, d'une voix sèche. Et si c'était le cas, je ne me serais certainement pas entouré de vous deux.
— C'est bien dommage, se contente répondre le plus ancien.
Les bras d'Alexandre se croise, ses sourcils se froncent. Une fois de plus, il se sent idiot. Comme plongé dans un piège qu'il n'avait pas vu se refermer autour de lui. Cette fois, son don obscur, le faisant dieu des échappatoires, ne lui sera d'aucun recourt. Il va devoir affronter. Plus fuir.
— Salazar m'a volé un petit quelque chose auquel je tiens et j'aimerais le récupérer, mais tu sais comme moi que je peux le faire seul... Néanmoins... Tu me sembles bien informé sur ses agissements Joshua. N'étiez-vous pas allié autrefois ? Etrange que tu viennes m'offrir ton aide en trahissant un ami, susurre le prince vampirique.
Il sait qu'il ment, il sait qu'il joue. Il n'y a pas d'amitié chez les vampires. De liens, de sang ou de pouvoir. D'allégeance ou de volonté. Car si l'homme vit et meurt seul, le vampire se contente de vivre seul.
— Va droit au but Joshua. J'ai beau être français, la fâcheuse habitude des miens à tourner pendant des heures autour du sujet m'exaspère. Qu'est-ce que tu attends de moi ? Je doute que tu aurais déplacé ta vénérable carcasse jusqu'à moi simplement pour que nous buvions un verre ensemble.
Joshua se tend d'un sourire, reprit par l'ombre de son Infante. Il n'a pas écouté un traitre mot des paroles d'Alexandre. Du moins pas les dernières car il reste en suspens, il reste en hauteur. Pour mieux offrir ses crocs de serpents et son venin aux veines du vampire.
— Un petit quelque chose qui se nomme comment déjà ? demande-t-il à Elisabeth qui réponds, trop vite pour que la scène ne soit préparée.
— Abigaël.
— Abigaël, voilà. Un joli trésor que tu as là... Une protectrice. J'en viendrais même à me demander où tu as trouvé ta petite merveille... Mais sache que je n'ai jamais véritablement porté Salazar dans mon cœur. Sa tendance à n'en faire qu'à sa tête m'agaçait quelque peu, conseil ou non.
Joshua s'éloigne, se servant un verre de ce sang toujours à l'air libre, enfin à température agréable. Pointant ce dernier dans la direction des deux vampires restants, il en boit une légère gorgée, afin d'offrir un regard plus grave, moins théâtral.
— Croyez bien, mes amis, que d'ici peu Salazar sera le cadet de nos soucis. Nous attendons de la visite, et je crains malheureusement que nous sommes tous lié à un jeu cruel dont seul ces visiteurs connaissent les règles... et moi, brièvement.
Les sourcils d'Alexandre se froncent un peu plus. Pire que Salazar ? Effrayant jusqu'à cet ancien trop puissant ? Quelque chose de plus fort que lui, de plus dangereux.
— Pour être clair Alexandre, si je t'aide à récupérer ta chasseuse, tu devras lancer avec moi les dés de ce jeu en me rendant un service. C'est donnant donnant. Et je te fais confiance, tu tiendras parole.
Alexandre réfléchi, quelques secondes avant de laisser un sourire narquois grandir sur ses lèvres. La trahison est une norme chez les vampires, qu'aucun pacte sans sorcière ne pourrait empêcher. Joshua n'en a aucune à ces pieds. S'il s'est entouré de mortels, s'offrant leurs allégeances pour savoir tout ce que le monde cachait de secret, jamais il n'avait réussi à lier à son âme damnée des praticiennes.
Il pourrait dire oui.
Trahit aussi vite.
Mais Alexandre est curieux et des ennemis aussi puissants pour faire frémir Joshua pourraient trop vite devenir les siens.
Pas besoin d'amis. Mais d'alliés.
— Te rendre un service ? Soit plus précis Joshua. Je peux encore refuser et je veux savoir contre quoi je devrais me battre. Qu'est ce qui me certifie que tu feras sortir Abigaël de là-bas ? Et qu'est ce qui te certifie que je ne te trahirais pas ? Il est de notoriété publique que j'ai été jusqu'à tuer mon créateur alors on ne peut me faire confiance. Tu devrais demander de l'aide à ton précieux Conseil.
— La notoriété publique ignore bien des choses, Alexandre. réplique Joshua, implacable. Elle est contrôlée par les vampires les plus avisés, perdue entre réalité et rumeur... Je crois que, finalement, nous allons tous les trois nous asseoir à cette table pour boire un verre, dit-il avant de tirer une chaise de bar.
Alexandre le rejoint, regardant Elisabeth devenir le parfait animal de compagnie de son Sire. Elle lui a toujours été fidèle et en la voyant sortir l'un de ses meilleurs crus, le prince plisse ses lèvres.
Elisabeth lui tend un verre et il glisse ses doigts autour du cristal, ne portant pas le liquide carmin à ses lèvres. Il écoute les mots de Joshua, lui offrant trop de questions de son regard pâle.
— Le conseil n'est plus ce qu'il était et je crains aujourd'hui de ne plus en faire partit. Nous ferons sortir ton Abigaël bien avant que le jeu commence et, en ce qui concerne ta parole...
Joshua laisse un silence entourer ses mots, avant d'ajouter :
— Entends-moi bien, Alexandre. Je ne suis pas Salazar. Je ne suis comme aucun vampire que tu connais. Si tu me trahi, moi, je ne te raterais pas. Je ne suis pas quelqu'un qu'on peut fuir.
Alexandre le toise, se perdant dans les prunelles aussi noires que des nuits sans lunes de l'immortel.
Aucun sourire ne vient étirer leurs lèvres.
Ils cherchent, l'un comme l'autre, à trouver la plus petite faille dans le visage de glace de l'adversaire. Le français n'est pas dupe. Joshua est capable de le trahir et il n'est pas le seul à ne posséder aucun honneur. Rien à voir avec une quelconque caractéristique de leur race mais plutôt de la longévité des deux partis présents. On ne vit aussi vieux sans planter quelques couteaux dans le dos de nos alliés.
Le prince autoproclamé analyse les paroles de l'immortel en face de lui, lisant dans les mots sans parvenir à lire dans les pensées, pouvoir ô combien utile dont il aurait besoin à l'instant précis. Voilà bien la seule utilité qu'avait sa sœur vampirique. Alexandre ne peut plus se contenter que des gestes, que des mensonges dans les attitudes.
Elisabeth se fait tentatrice, sourire enjôleur et regard de braise. Sa main se perds sur le torse de son Sire alors qu'elle ne lâche pas le prince, qu'elle ne le quitte pas des yeux.
En d'autre lieux, en d'autre temps, il aurait ronronné. Plus maintenant.
— Tu devrais tout lui raconter, Joshua, susurre-t-elle à l'oreille de son créateur.
— Soit...
Il y a un temps où les Sire n'existaient pas, du moins pas sous la forme que nous connaissons aujourd'hui. Les vampires ne devaient obéir qu'à leurs uniques maîtres : Les cinq primordiaux. Le premier est mort peu de temps après sa création. Il n'a guère su contrôler les pulsions de sa nouvelle vie, il était trop faible. Le second est mort quelques centaines d'années plus tard, éviscéré par les loups et le troisième, quant à lui... a été tué par l'un de ses Infants.
Joshua laisse un silence mais cette fois, il ne joue avec un quelconque effet théâtral. Il semble perdu dans ses pensées, aspiré par les souvenirs.
— Tu connais l'histoire du Christ, Alexandre. Cette vile légende qu'on conte aux naïfs humains pour leur donner la foi et l'espoir. Ce que l'on raconte est bien loin de la réalité.
Jésus de Nazareth était un primordial, un premier né. Un vampire ambitieux dont la prétention était telle qu'il s'est fait passer pour le fils de dieu puis, un peu plus tard, pour le dieu lui-même. Vois-tu, à cette époque encore, le monde surnaturel était méconnu de l'humanité. Voir un être mourir et ressusciter ne pouvait qu'être un acte de dieu... si seulement ils l'avaient véritablement tué sur cette croix. Voilà quelle a été mon erreur... sous-estimer un premier né. J'ignorais comment le tuer. Je pensais qu'il n'était qu'un démon dont on pouvait se débarrasser facilement si on l'attrapait. Il m'a fallu le trahir et de nombreux amis pour cela. L'union a fait la force... Jusqu'à ce que ses yeux s'ouvrent à nouveau et que, par ma faute, il aboutisse à ce qu'il désirait. Il est devenu un dieu aux yeux des hommes, l'être puissant qu'il fallait suivre et auquel il fallait obéir. Jésus était rancunier, il a fait s'abattre sur moi sa malédiction et a fait de moi son Infant. Se venger de cette manière, voilà ce qui fut son ultime erreur. Il m'a fallu 40 jours sous forme immortel pour le tuer.... 40 jours pour m'apercevoir que je n'étais qu'un monstre, mais que lui était bien pire.
Joshua boit alors son verre aussi sec avant de le reposer sur la table et de souffler.
— Personne ne connait l'origine de la mort des deux primordiaux restant... tout bonnement parce qu'ils n'ont jamais été détruit. Leurs pouvoirs ont grandi dans l'ombre et, tout comme leur frère, ils sont devenus ambitieux. Toutefois, eux sont beaucoup moins stupide. Ils ont été patients et, d'ici peu, ils assouviront leur vengeance avant de soumettre l'humanité. Mais pas que... toutes les créatures existantes sur cette planète devront ployer devant eux. C'est ce qu'ils se sont promit... et c'est ce que nous devons empêcher.
Alexandre, il n'y aura plus de place pour l'humanité. Plus de place pour ton Abigaël. Elle ne sera plus qu'une poche de sang que vous élèverez pour eux à l'entrée d'un abattoir. Le monde sera loin de celui qu'on connait, il sera pire et hors de contrôle pour nous autres... il n'appartiendra plus aux Sires. Il n'appartiendra qu'à eux. A un Roi et une Reine qui seront indétrônable.
Alexandre écoute avec intérêt les paroles de l'Ancien, s'inspirant des légendes, en goûtant les odeurs du bout des lèvres. Buvez mon sang. Cette phrase prenait maintenant tout son sens. Il avait vu tant de mortel alors qu'il en était un lui-même lui tendre des pièces par charité chrétienne. Lui, le miséreux, l'enfant jeté dans la fange par les mêmes qui lui offraient de l'argent. L'Eglise avait tué sa famille pour ensuite lui offrir des choses bien inutiles. Et elle n'était qu'un mensonge créé par un immortel...
— Comment sais-tu tout ça Joshua ? Si les primordiaux s'étaient montré à toi, tu ne serais certainement pas là à nous raconter leur histoire.
— Je connais sans aucun doute mieux que quiconque les premiers nés et croyez-le ou non, mais ils préfèrent jouer avec leur proie que la tuer.
Ils sont donc en danger, tous plus les uns que les autres.
Il devrait fuir, s'éloigner, ne surtout pas rejoindre ce jeu trop dangereux. En cavale, pour l'éternité. Mais loin des dangers, sauvant sa peau comme il l'a toujours fait.
A une exception près. Avant, il n'avait pas Abigaël. Avant, il n'avait que sa carcasse, que sa propre non-vie...
Sauver Abigaël... et mourir...
Alexandre a peur de la mort, plus qu'il ne veut le montrer. Il est terrifié à l'idée de voir son éternité s'arrêter net. Il a pris goût à son titre, à son rang. Il est un prince parmi des roturiers, un lion parmi les agneaux.
Mais il s'est bien trop attaché à sa petite chasseuse, bien plus qu'il ne veut se l'avouer.
— Leur visite a été brève et leurs mots concrets... Je ne vous cache quand même pas que j'ai passé un sale quart d'heure. Croyez-moi, Shôren et Samaël ont beau être les êtres les plus vieux des nôtres, ils sont en très grande forme.
Shôren et Samaël.
Enfants de la Grande, revenu parmi eux pour les détruire...
Le combat est perdu d'avance, Alexandre le sait. Il faudra plus qu'un mignon troupeau de vampire pour vaincre ces deux créatures qui ne perdront sûrement pas une seconde pour asservir des êtres pleins d'ambition afin de faire grandir leur nouveau monde sanglant.
— Quoi qu'il en soit, tu sais où me trouver, offre Joshua. Fait ton choix et fait le vite... Ton Abigaël a beau être forte, elle ne le sera pas longtemps entre les mains de Salazar.
— Si tu connaissais Salazar aussi bien que moi, tu saurais parfaitement ce que vit Abigaël à l'heure actuel. Il lui est bien plus drôle de travailler sur la psychologie que sur la douleur. Tu aurais oublié son pouvoir ?
La voix d'Alexandre est sarcastique mais son regard est plus froid que jamais. Il sait de quoi est capable le maitre des illusions qui l'a fait renaitre. Abigaël ne sera plus jamais la même lorsqu'elle reviendra à ses côtés.
Elle-même ou non, il doit pourtant la sauver.
Alors Alexandre se lève. Sa décision est prise, mais il ne peut l'offrir aussi facilement. Il ne peut dire oui sans contrepartie, sans réfléchir, sans analyser.
— Tu auras de mes nouvelles dans les prochains jours, soit en certain. D'ici là, essaye de surveiller Elisabeth qu'elle ne saute pas à la gorge de son William adoré.
Sans plus un signe, l'immortel disparait dans les ombres qui sont devenues son territoire.