Kivari #1

By aIexkiz

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Après s'être aventurée dans une forêt interdite, une adolescente développe un étrange pouvoir lié à un peuple... More

1- Prologue
2- La fin de l'été
3- L'appel
4- La fille de la forêt
5- Meori
6- L'étau
7- Le lien
8- Havenly High
9- Ennemie ?
10- Petit meurtre entre amis
11- Résolutions
12- Sans issue
13- L'arbre brisé
14- Kila
15- La proposition
16- Marquée
17- Questions
18- Madame Personne et le chevalier servant
19- Un caractère de chien
20- Collaboration forcée
21- Le jour de Christophe Colomb
22- Equilibrium
23- Un grand honneur
24- Esprit animal
25- Liaison chimique
26- Dans le sous-bois
27- La proie
28- Kivari
29- Embrasée
31- La porte secrète
32- Piégée
33- Logan Hoyt
34- Présentations
35- Émoi
36- À l'orée de la forêt
37- Fuis-moi, je ne suis...
38- Le noy'sat
39- L'homme à la couronne de fougères
40- Sur la voie
41- L'eirsha
42- Le Pacte
43- Transition
44- Première lune
45- Le jardin d'Eden
46- Fiévreuse
47- Brûlures
48- La langue morte
49- Entrelacées
50- Improvisation
51- Les Osborn
52- Du sang et des lames
53- L'étoile au bout du monde
54- La rumeur
55- Anonyme
56- Incertitudes
57- Homecoming
58- Axiome
59- Le chat et la souris
60- Un être à part
61- Humain et animal
62- Révélations
63- À l'aube de l'hiver
L E X I Q U E

30- Sous l'écorce

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By aIexkiz

Kila secoua lentement la tête : « Pas la peine de mentir. Je l'ai bien senti tout à l'heure.
— Eh bien si tu le sais, pourquoi me poser la question ? confirmai-je avec un début d'humeur.
— Tu lui as déjà parlé ? Est-ce que ta panthère vient souvent à toi ?
— Je... Seulement quelques fois... », admis-je à contrecœur.

Je laissai passer quelques instants. Le froid du crépuscule d'automne qui s'annonçait déjà dans le ciel calma la chaleur soudaine qui menaçait à nouveau de s'emparer de moi.

— Non, je ne l'ai jamais vue... finis-je par avouer autant pour briser le silence que pour me débarrasser de cet élément qui me pesait.

La jeune kanash fronça les sourcils.

— Alors tu ne sais même pas à quoi ressemble ton svarai ? Ça ne va pas du tout... conclut-elle tout bas.

Je fermai de nouveau les yeux. Avec le jour qui tombait, je commençais à me sentir fébrile. En outre, je ne souhaitais pas m'attarder davantage dans le sous-bois sachant ce qu'il pouvait bien abriter. Le souvenir du lion des montagnes me provoqua un frisson que je n'eus pas la force de dissimuler.

— Il faut que tu viennes avec moi, décida soudainement Kila. Tout de suite. Je crois que ton svarai ne s'est pas correctement lié à toi. C'est pour ça que tu n'arrives pas à communiquer comme il faut avec lui. Si on ne corrige pas ça rapidement...
— Je ne veux pas aller dans la forêt.
— Pourquoi ? insista la kanash avec une pointe d'agacement. Tu préfères rester comme ça ? Un kivari qui n'est pas harmonisé avec son svarai, ça n'est jamais bon. Surtout si ça dure.
— Il y a quelque chose dans cette putain de forêt ! éclatai-je brusquement.

Kila me dévisagea un instant sans comprendre, puis elle haussa les épaules : « Il y a plein de choses dans la forêt ? C'est normal puisqu'elle est vivante.
— Vivante ? », me bornai-je à répéter.

Car je n'avais aucunement l'intention de prendre davantage de risques. Ma rencontre avec le lion des montagnes m'avait suffit : ce monde était peut-être celui de Kila, mais il n'était pas le mien. Je ne prendrais pas le risque de me retrouver face au monstre de la forêt. Encore moins si celle-ci était vivante. Mais Kila en avait décidé autrement. Elle me répondit sur le ton de l'évidence, comme s'il s'agissait d'une connaissance universelle et absolue.

— Tous les kanashs le savent. Mais les kivaris le sentent d'autant plus parce qu'ils sont liés aux esprits. Je vais te montrer.

Et sur ces mots, elle toucha le tronc d'arbre contre lequel je me reposais. D'abord dubitative, je sentis peu à peu le flux de vie qui s'écoulait à travers l'arbre vibrer contre la paume de ma main ; c'était comme un fourmillement constant dont j'avais toujours eu conscience mais que je n'avais choisi d'écouter qu'à présent. Le sourire qui animait le visage aux traits fins de l'autre côté de l'arbre me gagna malgré moi. J'étais moi aussi apaisée par un sentiment de sérénité tel que je n'en avais jamais ressenti auparavant, et je sus alors que la force vitale de Kila était en train de me revigorer. Et tandis que nous nous accordions au travers de l'écorce, le flux se mua lentement en une charge électrique dont les vibrations devenaient de plus en plus difficiles à contenir : elles semblaient sur le point de jaillir de l'écorce à tout instant. Désormais irrésistiblement absorbée par l'énergie nourrissante que je recevais, je serrai davantage l'écorce frémissante entre mes mains fébriles. J'ignorais tout de la marche à suivre, de la manière dont il fallait la toucher.

D'abord gauche et maladroite, je laissai progressivement mes doigts suivre ce que mon instinct naturel leur commandait de faire. Je tressaillis lorsque Kila fit de même, car le flux se modifia aussitôt : d'abord bourdonnant, il se contorsionnait à présent, comme entremêlé par deux forces qui s'attiraient et se repoussaient à la fois. Elle me la transmettait. Sous l'écorce, la force vitale de Kila circulait comme un flot d'énergie qu'aucun obstacle ne pouvait endiguer. Elle cognait contre mes remparts, pleine, entière, plus puissante à chaque poussée. Profonde, intime. Exactement là où elle devait être. Juste avec moi. Un violent désir d'union, presque primaire, me submergea alors. Je n'avais plus qu'une seule préoccupation : fusionner avec cette nature que je découvrais. Elle était si libre, si sauvage, nue de tout artifice, simplement pleine de vie. Je la désirais plus que je n'avais jamais rien désiré d'autre auparavant. Elle allait et venait, par vagues successives, et le flot m'emportait un peu plus à chaque fois. Soumise à une profonde extase, je perdais le semblant de maîtrise que je n'avais jamais eu. Emportée par le flot, j'allais bientôt m'abandonner entièrement à elle. D'une minute à l'autre, je plongerais avec volupté dans...

Le flux explosa soudainement.

Je restai pantelante, soutenant mon propre poids avec difficulté. Un millier d'étoiles plus aveuglantes les unes que les autres tournoyaient dans ma tête. De l'autre côté de l'arbre, Kila respirait rapidement. C'était elle qui avait rompu le contact et, avec lui, l'osmose qui nous liait. Je finis par chanceler en arrière, haletant pour reprendre mes esprits. Je levai un œil perplexe vers Kila ; je m'étais attendue à ce qu'elle me parle de ce qui venait de se produire, mais elle n'en fit rien. La jeune kanash cligna rapidement des yeux, puis murmura entre deux respirations intenses :

— Tu comprends, maintenant. Il faut apprendre à contrôler le zhan. Et pour ça, tu dois d'abord appréhender ton svarai. Tu dois venir avec moi...
— Le zhan ? répétai-je haletante, encore enivrée par les sensations nouvelles qui s'attardaient en moi.

À regret, je quittai l'arbre et son écorce protectrice pour suivre Kila qui s'éloignait déjà. Elle le vivait mieux que moi, a priori. Encore tremblante, j'avais du mal à marcher droit. Je m'y efforçai pourtant, me concentrant sur les deux baskets en toile au bout de mes pieds qui se suivaient machinalement sur le sentier. Mais je ne parvenais pas à passer à autre chose. Que venait-il de se passer ? Je refoulai la chaleur qui s'apprêtait déjà à renaître tandis que je me remémorais la sensation de symbiose parfaite que j'avais ressentie auprès de l'arbre. Était-ce bien l'écorce ou s'agissait-il d'autre chose ? Je levai les yeux vers la jeune kanash. Devant moi, Kila marchait d'un pas vif et assuré. Avait-elle l'habitude de ce genre d'expérience ? Probablement, car elle était kanash, mais pour moi... c'était la première fois. J'ignorai la petite pensée suppliante qui se forma en moi pour espérer que ce ne soit pas la dernière. Au loin, j'aperçus l'orée du sous-bois puis le parking. Je reconnus quelques voitures parmi celles qui étaient garées à leurs places respectives. N'avait-elle pas mentionné la forêt plus tôt ? Pourquoi nous ramenait-elle vers le lycée ? Je baissai la tête pour éviter le feuillage fourni d'une branche qui gênait le passage. Le parking était pratiquement désert, seuls quelques retardataires attendaient encore le bus. Combien de temps avais-je passé dans le sous-bois ?

— Rentre chez toi, déclara brutalement Kila sans se retourner.
— Mais tu ne voulais pas qu'on aille dans la forêt ? demandai-je d'une voix mal assurée.
— Tu ne veux pas venir. Je l'ai compris tout à l'heure, quand nous avons...

Kila se tut. Je crus déceler une teinte de rouge sur ses traits pâles, mais si ce fut le cas, elle disparut promptement. Pour ma part, je n'osais pas la questionner sur l'étrange sensation que j'avais éprouvé près de l'arbre. J'en mourrais d'envie, mais je n'étais même pas certaine de savoir comment la verbaliser.

— Tu as peur, reprit-elle. Je l'ai vraiment ressenti cette fois. Alors je ne te forcerai plus.

De nouveau, mon manque de courage. Je voulus formuler quelque chose, n'importe quel mot qui pouvait me permettre de ne pas rester passive, mais je n'en trouvai aucun. Je me contentai du silence assourdissant de mon cœur qui s'était mis à battre tel un tambour de guerre. Pourquoi s'emballait-il à ce point ? Je respirai longuement pour le temporiser, j'avais éprouvé beaucoup trop d'émotions en l'espace de deux jours, voilà tout. Il fallait juste que je me calme, que je respire. Mais Kila fut plus rapide que moi.

— Je sais que tu n'es pas obligée de me répondre positivement, mais... glissa-t-elle à voix basse.

Elle s'interrompit une nouvelle fois. Je vis la jeune kanash baisser la tête. D'habitude si solide, Kila me semblait à présent fragilisée par quelque chose que je n'identifiais pas. Qu'avait-elle de si important à me dire ? Elle resta silencieuse durant les secondes qui suivirent, puis releva lentement la tête. Ses joues étaient rosies par le froid. J'avalai ma salive. Que lui arrivait-il ? Était-ce à cause de l'écorce ? Je restais moi aussi bouleversée par le phénomène qui nous avait liées un peu plus tôt, et je n'avais...

— Est-ce que tu vas revenir ? finit-elle par demander d'une toute petite voix qui me désarma complètement.

Mon cœur se mit à cogner fortement contre ma poitrine. Pourquoi était-ce aussi important pour elle que je revienne ? Et comment pouvait-elle en douter, elle devait pourtant bien le savoir ? Je ne savais rien de la culture kanash, elle constituait donc mon unique lien, l'unique moyen pour moi de parvenir à la vérité. Sans elle, je ne pouvais y arriver. J'ouvris la bouche, mais ne parvins pas à formuler clairement ce que je ressentais.

— J'attendrai que tu sois prête... et si... reprit Kila dans un murmure qui se voulait de plus en plus inaudible.

Mon esprit s'emballa aussitôt, comme pour se mettre au diapason avec le tambour qui frappait comme un sourd dans ma poitrine. Paralysée par la peur de mal comprendre, je choisis sciemment la lâcheté et optai pour un silence aussi sécurisant qu'insupportable. Kila s'approcha soudainement, puis s'empara de ma main. La chaleur qui se dégageait de la sienne me brûla comme un soleil en fusion. L'incendie dans lequel je brûlais vive m'empêchait de réagir. Kila planta son regard bleu d'acier dans le mien.

— Si tu viens avec moi, je te promets de t'aider à mieux comprendre ton svarai. Je t'apprendrai à t'harmoniser avec lui. Ce que tu ignores de notre culture, je te l'expliquerai. De ce qui t'effraies dans la forêt, je te protègerai. Je t'aiderai pour tout ce que tu auras besoin de faire. Je t'en fais le serment de par le loup qui est le mien.

Et je perdis pied. Les yeux d'azur de la kanash m'imploraient avec une intensité que je ne lui avais encore jamais vue. Ce n'était plus des battements mais des coups de butoir qui martelaient ma poitrine. L'espace d'un instant, j'eus l'impression que le flux d'énergie sourdait encore tout au fond de moi, prêt à jaillir à n'importe quel moment. Je voulus prononcer quelque chose, mais un nœud de peur s'était formé à l'intérieur de moi : et si je me trompais ?

— Je ne te demande qu'une seule chose en échange...

La voix grave de Kila me désarçonna un peu plus. Dans ma gorge, le nœud s'était serré au point de me couper toute possibilité de parole.

— Je t'en prie, Eden... parle-moi de Meori. T'a-t-elle transmis un message ? A-t-elle parlé de moi ? Dis-le moi, s'il te plaît...

La terre était dure et ferme sous mes pieds. Le poing serré contre mon flanc, je regardais sans les voir les lèvres rosées qui, entrouvertes, remuaient toujours devant moi. Mais je ne les entendais plus. Le froid mordant qui venait de s'insinuer en moi ne devait plus rien à l'automne. La main de Kila, si chaude quelques secondes à peine auparavant, me transperçait désormais comme un pic de glace. Je repris peu à peu conscience des yeux d'azur qui m'imploraient toujours. L'expression suppliante de son visage était presque aussi insupportable que la sensation de souillure qui me collait à la peau. Incapable de répondre, je baissai la tête à mon tour. Ce fut à cet instant seulement que je remarquai le petit bracelet de cuir tressé que Kila portait à la cheville gauche. Je déglutis en silence, frappée par la seule réalité possible de sa proposition. Car j'avais maintenant ma réponse. Il n'y en avait qu'une. Il n'y en avait jamais eu qu'une et il n'en existerait jamais aucune autre : Meori.

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