Je considérai le territoire de l'Union Bleue à l'horizon d'un air vide. J'étais amorphe, comme hermétique aux manifestations extérieures. Le bruit de l'hélicoptère me parvenait à peine, la pluie ne semblait que frôler mon visage. Et pour cause, je n'étais que physiquement présente dans cet appareil qui m'emmenait vers la fin, la fin de tout. Mon esprit vagabondait encore autour de la chambre de Nate, là où j'avais dû lui dire au revoir. Bien que je m'étais efforcée de le préparer à mon départ, mon petit frère ne semblait pas avoir accepté celui-ci.
— Je suis désolée, mon grand, m'étais-je excusée en le serrant dans mes bras. Je dois partir, maintenant.
— Il faut te dépêcher, m'avait pressée Fox, droit comme un I, son arme tournée vers le sol.
— Oui, bon, ben ça va ! l'avais-je jeté, avant de le regretter aussitôt.
Les commissures de ses lèvres s'étaient abaissées, seul signe sur son visage stoïque, tourné vers le mur, que je l'avais blessé. Je le savais, pourtant, il s'évertuait seulement à me protéger.
— Fox ? l'avais-je interpellé.
Ses yeux bridés avaient rencontré les miens.
— J'arrive tout de suite, c'est promis, avais-je assuré avec une esquisse de sourire.
Il m'avait adressé un signe de la tête, avant de sortir pour me laisser seule avec Nate.
— Tu pars longtemps ? avait repris celui-ci en triturant le pli de son tee-shirt.
— Deux mois, avais-je répondu sans hésiter. Trois, grand maximum.
C'était ce qui m'avait aidé à surmonter la perspective de le quitter. Car loin d'être un adieu, ce n'était qu'un au revoir. J'avais pris cette décision après m'être remise du choc que m'avaient causé les exigences de mon père. S'il voulait la guerre, je ne pourrais pas l'en empêcher. Mais une chose était sûre, après la rupture du pacte, je reviendrais à Negendra pour récupérer Nate et qui sait, peut-être fuir avec lui – même si j'ignorais encore où.
— En attendant, je veux que tu restes sage et que tu obéisses bien à tout ce que Ghost te dira de faire. D'accord ?
— D'accord, m'avait-il accordé à contrecœur.
— J'ai un dernier service à te demander, avais-je ajouté en fermant les yeux l'espace d'une seconde. Tu risques de te retrouver plus souvent avec maman, dorénavant. J'aimerais que tu lui dises quelque chose de ma part.
Il avait hoché attentivement la tête.
— Tu lui diras que je suis désolée de ne pas avoir voulu la comprendre plus tôt et qu'en dépit de tout, je l'aime.
La perplexité s'était affichée dans son regard. Du haut de ses cinq ans, il ne pouvait évidemment pas saisir l'enjeu de mes paroles. Peut-être même ne comprenait-il pas pourquoi je ne le lui disais pas moi-même. Bien que peu souvent en sa compagnie, Nate aimait sa mère aussi fort que n'importe quel enfant normalement constitué était supposé le faire. N'importe lequel, sauf moi. Je n'avais même pas été capable de la revoir, depuis que j'avais compris ce dont elle avait essayé de me préserver.
— C'est très important, Nathan, avais-je insisté en le regardant droit dans les yeux.
Il avait opiné du chef avec le plus grand sérieux – il allait sûrement prendre sa mission très à cœur. Je l'avais donc reposé par terre avant de lui ébouriffer une dernière fois les cheveux, puis j'avais tourné les talons en me refusant à regarder son expression dévastée.
Je croyais que ça marcherait, que ça suffirait à tenir éloigner l'image de mes souvenirs, mais rien à faire, elle s'était gravée à l'encre indélébile dans ma mémoire. Je viendrais te chercher, me répétai-je pour la énième fois alors que nous approchions l'impressionnant complexe central de l'UB.
— C'est là que tu descends, annonça Ghost.